En seulement quelques semaines, Guillaume Lambert a lancé le film Niagara, dans lequel il a dirigé des légendes comme François Pérusse, Marie Eykel et Guy Jodoin. Il a remporté un prix Gémeaux pour les textes de la série Audrey est revenue, co-écrits avec Florence Longpré, et son premier prix d’interprétation individuelle pour son rôle dans La Confrérie. Par-dessus le marché, il vient de publier le roman Eschatologie.
Comment vis-tu cet immense automne ?
GUILLAUME LAMBERT : C’est comme un tourbillon que je n’avais pas prévu. Je fais les choses à l’instinct, sans plan de carrière. Tout s’est concrétisé en même temps. Un retard de tournage pour mon film durant la pandémie a fait en sorte que j’ai tourné en même temps qu’Audrey est revenue et que les deux projets sont sortis grosso modo en même temps. Avec les Gémeaux et la sortie du livre, c’est la fin de la cuvée de la pandémie.
Est-ce que des prix pareils peuvent changer ta carrière ?
GUILLAUME LAMBERT : On verra. Je dis souvent que je suis dans un petit bateau. Si je ne rame pas par moi-même, il n’y a pas grand-chose qui se passe. C’est vraiment correct. J’essaie de rester humble par rapport à ce que je fais. Pour le moment, tout ce sur quoi j’ai travaillé durant la pandémie vient de sortir. C’est un bon millésime. Mais l’an prochain, on repart à zéro.
Les décideurs tendent-ils davantage l’oreille à tes projets ?
GUILLAUME LAMBERT : Avant L’âge adulte, j’ai passé beaucoup de temps à défendre qui j’étais comme comédien et comme auteur. Là, j’ai l’impression que les portes sont ouvertes pour entendre parler de mes projets. Ça fait du bien. On me présente encore comme la relève, mais j’ai bientôt 40 ans et je suis sorti de l’École en 2006. Britney était au top dans le temps !
Niagara sera disponible sous peu sur Illico. J’ai l’impression que tu t’es gâté dans l’écriture et la réalisation. Est-ce que je me trompe ?
GUILLAUME LAMBERT : J’ai fait le film que j’avais envie de voir. C’est sûr que je me suis fait plaisir. Même si j’ai eu plus d’argent dans Niagara que j’en avais dans Les scènes fortuites et que je suis peut-être le seul cinéaste qui a pu multiplier par dix son premier budget avec 1,5 million pour le deuxième — ce qui demeure peu pour créer un film — je tends à garder une esthétique artisanale, proche des comédiens et très brute. J’aime quand on a l’impression que ça n’a pas été triché et qu’on oublie complètement que c’est une fiction. C’est pour ça que j’ai choisi ces acteurs. Le fait de voir des
gens là où on ne les attend pas, ça crée peut-être un plus grand sentiment d’identification. Cela dit, il y avait des risques. En disant « action », François Pérusse aurait pu s’avérer un mauvais comédien, mais il a une présence formidable.
Tu seras peut-être le seul à l’avoir dirigé dans un film.
GUILLAUME LAMBERT : Je suis le premier à avoir eu l’idée, alors good for me ! Je suis intéressé par ces genres d’individus extrêmement intelligents, qui ont fait leur propre carrière, qui ne doivent rien à personne et qui sont dans l’humilité. Je suis aussi très influencé par des films comme Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Little Miss Sunshine et Lost in translation. Quand on place Jim Carrey, Steve Carell et Bill Murray en dehors de leur X comique, on dirait qu’il y a une grande humanité qui apparait.
Dans ce road movie, trois frères se retrouvent après que leur père soit mort en faisant le Ice Bucket Challenge. Pourquoi voulais-tu explorer les liens familiaux qui se renouent ?
GUILLAUME LAMBERT : La famille est une thématique très importante culturellement au Québec. J’avais envie de faire un film sur la famille, où chacun des membres n’est pas à la bonne place. Malheureusement, c’est le décès [de l’un d’eux] qui fait bouger les choses. Le fait d’aborder le deuil permet aux gens de mieux communiquer, d’être plus proches de leurs émotions et d’aller vers une autre étape de leur vie.
Au Québec, on peut maintenant voir Audrey est revenue à Télé-Québec. La série sera bientôt diffusée en France sur Canal+ et en Italie sur RAI. Qu’est-ce qui a séduit les étrangers ?
GUILLAUME LAMBERT : Comme on essaie de faire les choses de manière authentique et d’être proche de l’intimité des personnages, l’histoire devient universelle. On a aussi fait le pari d’avoir un personnage principal qui parlait peu et je pense que ça a séduit. Il y a une espèce de modernité et d’originalité dans ce point de vue. Et comme on présente un show hybride qui oscille entre le drame et la comédie, l’onirisme et le réalisme, on se démarque dans l’offre actuelle en festivals. En plus, les acteurs sont magnifiques.
Tu viens de sortir ton deuxième livre, Eschatologie (Leméac). Pourquoi revenir à l’écriture de roman après toutes ces années en scénarisation pour la télé et le cinéma ?
GUILLAUME LAMBERT : La liberté. C’est quelque chose de très brut que j’ai écrit dans le vif de la pandémie. J’avais besoin de tenir un journal de bord pour ma santé mentale et de faire un devoir de mémoire. Ces événements sont arrivés depuis à peine deux ans et on a tourné la page, mais est-ce qu’on va apprendre de nos erreurs ? Par ailleurs, la littérature me permet quelque chose que l’audiovisuel ne me permet pas, soit de rentrer dans la pensée intime d’un narrateur. Je fais des romans pour ne pas les adapter à la télé ou au cinéma. Par simple amour des mots.
Tu dévoiles des bribes de vie et de réflexions d’un personnage cynique en pleine pandémie. Crains-tu que les gens hésitent à lire un livre campé dans cette période ?
GUILLAUME LAMBERT : Complètement, mais la pandémie est plus le contexte que le cœur du récit. Le roman porte sur quelqu’un de privilégié qui perd tout, son emploi et sa liberté de mouvement. On plonge dans la tête d’une personne profondément misanthrope qui analyse le monde moderne, l’individualisme et plusieurs faits divers qui sont passés sous le radar durant la pandémie, une forme de souffrance qu’il regarde avec sa perspective.
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