Un sujet qui touche quotidiennement les femmes et les hommes trans, mais sur lequel on ne s’arrête que rarement pour s’interroger sur ses origines et son évolution. Comment, en à peine un siècle, l’emprise de l’industrie sur l’hygiène féminine a-t-elle changé notre regard sur le corps ? Jeanne Guien, philosophe et historienne, nous convie à ce voyage fascinant à travers la petite histoire des serviettes et tampons jetables et des applications de suivi du cycle menstruel.
Après des siècles de linges faits maison, attachés à l’aide d’une ceinture, les premières serviettes commerciales voient le jour en 1880, mais c’est avec l’apparition de la marque Kotex, en 1920, que l’on assiste à une domination massive du marché. Le marketing mettait l’accent sur l’archaïsme des pratiques artisanales et comparait les serviettes jetables « au téléphone, à la lumière électrique [et] à l’accès des femmes à l’université ».
Par la suite, les serviettes adhésives et les protège-dessous font leur apparition avec Stayfree, en 1971. Le discours publicitaire insiste non seulement sur la nécessité d’une utilisation quotidienne plutôt que mensuelle, mais associe lourdement le sang menstruel à la honte, à la malpropreté et à l’odeur nauséabonde, tout en insistant sur la nécessité de masquer le phénomène. Certaines campagnes alimentent ainsi une crainte irraisonnée voulant « que l’odeur [du] vagin risquait de leur faire perdre leur mari, leurs amis, leur place en société ».
Au Québec, en 1941, on retrouve un tel discours dans les publicités de Lysol (pas le nettoyant pour les planchers, mais la douche vaginale), qui présentent des femmes ostracisées en raison d’un manque d’hygiène.
La couleur rouge est proscrite sur les emballages et il fut une époque où Johnson & Johnson distribuait même des « coupons d’achats silencieux » pour effectuer des achats derrière le comptoir et ainsi éviter l’opprobre public. Mentionnons également l’étrange marque Anne, commercialisée au Japon dans les années 60 en l’honneur d’Anne Frank, qui mentionne ses règles à quelques reprises dans son journal (peu de temps avant de mourir dans un camp de concentration).
L’ouvrage se penche aussi sur l’arrivée de la nouvelle technologie et des applications permettant de surveiller la fertilité : en 2021, on en compte 259 qui, bien que gratuites, sont toujours associées à des produits et des services payants ou à des publicités. Fort bien documenté, l’ouvrage de Jeanne Guien ne s’enlise pas dans un académisme lourd et ponctue au contraire efficacement sa trame d’anecdotes savoureuses, de constats sociaux et de réflexions de nature plus philosophique.
Une petite histoire où le cycle menstruel est associé à une libération de la femme, mais également à la convoitise des conglomérats industriels, à des opérations de marketing frôlant le lavage de cerveau publicitaire et à de multiples scandales.
INFOS | Une histoire des produits menstruels / Jeanne Guien. Paris : Éditions Divergence, 2023, 320 p. (Hors collection)