L’année 2024 s’est placée sous le signe des séries biographiques orientées vers les grands noms de la haute couture. Pourtant, malgré un terreau quasi identique, rien ne peut être plus différent que l’approche empruntée par « The New Look » (TNL), présentée sur Apple TV, et celle de « Becoming Karl Lagerfeld » (BKL), sur Disney+. La première se distinguant par un ton très sage alors que la seconde plonge voluptueusement dans le soufre.
Le plus paradoxal est que, malgré un ton résolument différent, les deux séries mettent en scène la même gamme de personnages secondaires évoluant dans le milieu de la mode : la différence se situant au niveau du protagoniste et de la période historique explorés. Ainsi, alors que la première série (TNL) se concentre sur les démêlés de Christian Dior et de Coco Chanel, de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux années 60, la seconde (BKL) porte sur Karl Lagerfeld (Daniel Brühl) et sur les années 70.
Becoming Karl Lagerfeld relate le travail du couturier alors qu’il évolue dans la maison Chloé, spécialisée dans le prêt-à-porter, et essuie le mépris de ses collègues de la haute couture, plus particulièrement les regards assassins d’Yves-Saint-Laurent. Ce combat des coqs donne lieu à de nombreux jeux de pouvoir et à une enfilade de répliques venimeuses plus jubilatoires les unes que les autres.
Dès le départ, la série prend le parti de présenter les enjeux et les protagonistes à travers le regard de Jacques de Bascher (Théodore Pellerin) qui croise le sillage de Lagerfeld au détour d’une discothèque, et est immédiatement fasciné par son port altier ainsi que des bottes montantes rouges qu’il arbore avec panache. Une entreprise de séduction se met en place et c’est ainsi que Lagerfeld succombe à ses charmes et initie son nouvel amant (et les spectateurs) aux secrets d’alcôves de la mode.
Véritable incursion dans le milieu gai parisien des années 70, la série ne se prive pas d’en présenter les charmes comme les excès : discothèques, partys privés, orgies, drogues ou fréquentation des tasses (les baises dans les toilettes publiques) sont ainsi à l’honneur. La relation épidermique et contrariée du couturier avec Jacques de Bascher constitue par ailleurs un magnifique écrin permettant à l’acteur québécois Fred Pellerin de dévoiler l’étendue de son talent.
C’est ainsi que l’acteur insuffle vulnérabilité et démesure au personnage de Bascher, que ce soit au regard de ses gestes, regards et jeux de séduction, que dans les répliques assassines qu’il assène, particulièrement à l’encontre de Pierre Bergé, compagnon d’Yves Saint-Laurent. Il faut d’ailleurs noter qu’Yves Saint-Laurent est ici présenté sous les traits d’un homme paillard et concupiscent qui verse constamment dans les excès.
Chaque épisode est truffé des grands succès des années 70 avec une omniprésence du disco. Il faut également souligner l’envoutante musique originale d’Evgueni et Sacha Galperine qui ponctue les scènes d’onomatopées opératiques qui marquent avec force la tension qui couve. On s’en doute, la série n’est pas un long fleuve tranquille!
Elle dépeint avec adresse les déchirements incessants d’un homme qui tente d’imposer son nom, mais également de deux amants qui cherchent à échapper à la solitude et ne savent pas comment exprimer leurs désirs. L’ensemble est particulièrement jouissif même si on peut regretter un rythme un peu plus lent dans les derniers épisodes. À noter qu’une seconde saison est prévue, tant pour TNL que pour BKL, ce qui ne peut que piquer la curiosité puisque la période historique de la première va ainsi se superposer à celle de la seconde.
INFOS | Les six épisodes de Becoming Karl Lagerfled sont disponibles en français, ainsi que dans un très bon doublage anglais, sur Disney+.