En 2009, à l’âge de 8 ans, Gabriel disparaît d’un terrain de camping. À proximité, on découvre un cercle de culture (un « crop circle »), l’empreinte que laisserait soi-disant au sol l’atterrissage d’un vaisseau extraterrestre. Du moins, est-ce la théorie farouchement embrassée par les proches du jeune garçon ! La réalité est cependant à la fois plus simple et complexe !
Âgé de 15 ans, au moment de la disparition de son frère, Marc (Antoine Pilon) frôle maintenant la trentaine. Il habite toujours chez sa mère, Micheline (Maude Guérin), et arbore une magnifique coupe Longueuil (« hockey hair » au Canada anglais, « mulet » en Belgique et « nuque longue » en France), signe que le temps s’est définitivement arrêté pour lui.
Il embrasse à bras le corps l’hypothèse de l’enlèvement extraterrestre : seule explication envisageable puisqu’elle porte en elle l’espoir d’un retour plutôt qu’une résolution macabre. Il a donc mis en place UFO Québec, un organisme qui accompagne les citoyens confrontés aux voyageurs du cosmos, même si, après 15 ans, ses certitudes commencent à s’effriter. C’est alors que Julien (Robert Naylor), un compagnon d’adolescence présent lors des événements de 2009, ressurgit dans sa vie et décide de l’épauler dans sa quête. Au même moment, l’impensable se produit puisqu’un homme au début de la vingtaine (Antoine DesRochers) est retrouvé, nu et amnésique, sur un terrain abandonné ! Pourrait-il s’agir de Gabriel ?
À l’instar des poupées gigognes, chaque personnage cache des secrets, des traumatismes et des motivations qui trouvent bien souvent leur origine dans l’enlèvement de 2009. Micheline maintient la chambre de son garçon dans un état quasi muséal, mais son dévouement ne cache-t-il pas d’autres motivations ? Julien se désintéresse d’une conjointe enceinte et porte un regard énamouré vers Marc : pourquoi un silence radio de plus de 15 ans envers celui qu’il considérait comme son meilleur ami ? Et pourquoi est-il à ce point fasciné d’apprendre qu’un collègue de travail, Raymond (Luc Guérin), exerce également le métier de drag queen ? Se reconnaîtrait-il soudainement dans le regard d’un autre homme ?
Et quelles sont les motivations de ces groupes opposés qui cherchent à mettre la main sur le jeune amnésique ? Qui sont les hommes et femmes en noir qui tentent de contrôler les différents protagonistes : des envoyés du gouvernement ou d’un groupe occulte ? Pourquoi les drag queens animant un spectacle de la Saint-Jean semblent-elles contrôlées à distance ? Quels sont les pouvoirs des pendentifs d’ébène que plusieurs portent au cou ? Y a-t-il vraiment des extraterrestres ou tout n’est-il que fabulation ?
La série, écrite et réalisée par Benoit Lach, tisse un faisceau d’hypothèses et d’intrigues qui semblent tout d’abord n’avoir rien en commun, mais convergent éventuellement dans une même direction, ménageant des révélations surprenantes. Le concept d’écoute en rafale s’y applique parfaitement puisqu’il est impossible de ne pas sauter sur le prochain épisode tant le rythme est haletant et les personnages riches et complexes. Il faut d’ailleurs souligner des performances à couper le souffle d’Antoine Pilon et de Maude Guérin, qui demeurent toujours criantes de vérité et arracheront même des larmes à plusieurs.
Le titre de la série renvoie à une recherche identitaire qui s’applique tout aussi bien au plan national que local. Chacun se cherche ou se définit comme une société distincte, qu’il s’agisse du peuple québécois, des fervents croyants en l’existence de visiteurs d’outre-espace, des groupes mystérieux qui s’y opposent ou de la communauté LGBTQ. Et si des visiteurs de l’espace étaient réellement présents parmi la population québécoise, ne formeraient-ils pas également une société distincte ?
Impossible finalement de ne pas souligner la très habile utilisation de plusieurs pièces emblématiques de Jean-Pierre Ferland, notamment au cœur d’une scène finale qui illustre magnifiquement le passage à l’âge adulte de Marc et Julien : un moment d’anthologie qui ne laissera pas un œil sec dans les chaumières. Un dernier épisode qui nous laisse par ailleurs sur des points d’interrogation qui nous rongeront l’âme jusqu’à la diffusion d’une saison 2 qui sera, sans aucun doute, très attendue.
De la très, très grande télé !
INFOS | Les dix épisodes de Société distincte sont diffusés, en français, sur Illico !