Un roman où l’on déjoue toutes les interprétations qui semblent s’imposer au détour d’un chapitre. La page suivante et notre lecture nous ouvrent d’autres pistes. Tout cela pique la curiosité pour le personnage principal du livre, un universitaire à l’aube de la vieillesse, qui perd son poste, remplacé par une professeure plus jeune, et qui ressent une profonde injustice qui deviendra obsessionnelle. Comment alors réparer cette injustice.
Mais à travers cette trame narrative, Pierre Samson en profite pour aussi interroger le monde et l’époque dans laquelle nous vivons. Il y a la question du pouvoir, celui des autres et aussi le sien propre, le vieillissement et les relations avec les plus jeunes, mais aussi ce qu’il appelle la doxa, que l’on ose interroger et qui pour beaucoup est devenu un dogme aussi fort et contraignant que les dogmes auxquels ils et elles s’opposent.
On pourrait croire qu’à travers ce vieux prof, Pierre Samson s’en prend à un certain féminisme, à l’écriture inclusive, aux étudiant.e.s de plus en plus incultes qui sont devenu.e.s des client.e.s dans le système scolaire, etc. Mais là encore, surprise, le discours au fil du roman son discours s’effrite, se module, laisse apparaître le doute.
« Il est pris à son propre jeu au départ, son discours est aussi rigide que ceux qu’il dénonce, explique Pierre Samson en entrevue, mais je souhaitais parler de ces discours qui apparaissent et se demander si on pouvait en discuter sans être tout de suite condamné, que tout n’est pas noir ou blanc, et que si sur un sujet on apporte des réserves, on ne soit pas considéré sans autre forme de procès comme un ennemi, on le voit bien aujourd’hui avec le conflit israélo-palestinien où l’on doit se ranger d’un côté ou de l’autre ».
Le personnage fort de ses convictions se lance alors dans une enquête pour démontrer que celle qui le remplace est une usurpatrice. Paléographe de formation et de profession, il connaît les ficelles pour se rendre compte si un document est authentique ou un faux, et donc mène une enquête sur celle qui lui a volé son poste.
Mais là aussi, Pierre Samson sait déjouer toutes nos attentes car les conséquences des recherches via internet de son personnage auront des conséquences inattendues et bien loin de celles qu’il aurait espéré, et surtout bien plus dramatiques.
« Cette quête qu’il va mener va l’obliger à se déconstruire et à réfléchir sur la position victimaire qu’il a adopté, continue Pierre Samson, parce qu’il perd son travail, parce qu’il entre dans la catégorie des gais qui passés 60 ans n’existent plus, selon lui ».
Le style de Pierre Samson mériterait une étude en soi. L’auteur – comme le personnage – ne cède à aucune complaisance sachant adapter le niveau de langue aux différentes situations que vit le personnage, nous amenant à mieux comprendre comment ce professeur, pense, voit et analyse le monde qui l’entoure et qui semble l’exclure tout autant qu’il s’en exclut. La force de ce roman tient en fait dans cette transformation, dramatique sinon tragique, mais qui évolue en filigrane d’un cynisme à peine voilé à quelque chose qui a tout à voir avec l’humanité redécouverte.
Denis-Daniel Boullé [email protected]
INFOS | Pierre Samson, L’irréparable Héliotrope, Montréal, 2024, 280 pages