On a longtemps cru que les jeunes transformeraient la société avec leurs préoccupations environnementales et leurs valeurs progressistes. Pourtant, la jeunesse canadienne dérive de plus en plus vers la droite…
Commençons avec la pointe de l’iceberg : en étudiant 35 000 questionnaires remplis par des élèves du secondaire à travers la province, GRIS-Montréal a démontré que le niveau de malaise face à l’homosexualité avait bondi. L’étude démontre que 33,8% des jeunes auraient du mal à composer avec une amie lesbienne en 2024 (contre 15,2% en 2017). Le pourcentage grimpe à 40,4% avec un ami gai (c’était 24,7% sept ans plus tôt).
On pourrait croire que les jeunes sont influencé-es par les politicien-es et les médias anti-queers qui jettent de l’huile sur le feu de certains enjeux : toilettes non-genrées, spectacles de drag adaptés pour la jeunesse, droits des personnes trans et non-binaires, etc.
En donnant l’impression à la population que nous voulons saccager la société, iels transforment nos communautés en épouvantails pour détourner l’attention de l’inaction des puissant-es dans les enjeux
criants (environnement, itinérance, crise du logement, inflation, etc.)
Mais il y a plus. Politiquement, on observe un déplacement des jeunes vers la droite. Selon un sondage mené par Léger le 22 avril 2025, les Conservateurs auraient obtenu 44% du vote des 18-34 ans : une
progression de 21% par rapport à un sondage de la même firme mené le 24 janvier 2022.
Des nuances s’imposent. Renaud Poirier St-Pierre, l’ancien directeur de cabinet de Gabriel Nadeau-Dubois, a rappelé dans une lettre d’opinion ce printemps que les intentions de vote des jeunes sont
difficiles à mesurer. Pourquoi? Parce qu’iels votent moins, parce que les méthodes choisies par les sondeurs les rejoignent moins et parce que la préférence exprimée dans un sondage ne se matérialise pas toujours en votes. Également, si le sondage de 2025 s’était traduit en votes, cela aurait représenté le choix des 18-34 ans qui votent et non de l’entièreté de ce groupe d’âge.
Analysons maintenant la simulation électorale organisée auprès des ados et des enfants en avril 2025 : plus de 900 000 élèves dans 6079 écoles – de chaque province et territoire au pays – ont dit à qui irait leur vote. Si le gouvernement avait été élu par les moins de 18 ans, le Parti conservateur aurait formé un gouvernement minoritaire avec 36,4% du vote populaire. Mark Carney aurait vu le Parti libéral récolter 31,9% du vote. Le Bloc Québécois aurait obtenu 2,2%, les Néo-Démocrates 14,5% et le Parti Vert 7,4%.
Vous me direz que les personnes d’âge mineur ont le temps de changer, de s’informer, de développer leur sens critique et de modifier leurs valeurs. Pourtant, rien ne prouve qu’elles ne voteront plus pour les Conservateurs. Comment expliquer ce mouvement? Pensons d’abord à l’inflation qui pousse souvent l’électorat vers une gestion plus conservatrice des finances publiques… ou vers les partis qui prétendent pouvoir tout régler en faisant le ménage, même s’ils n’ont aucune compétence dans le domaine. La preuve : Donald Trump fait actuellement plonger l’économie américaine.
Autres hypothèses? La mondialisation et l’arrivée de personnes immigrantes peuvent donner l’impression à certaines franges de la population de perdre leurs repères identitaires et les pousser à se replier sur elleux-mêmes. Sans oublier certains hommes blancs hétérosexuels cisgenres, habitués de trôner au sommet de la pyramide sociale, qui se révoltent contre les queers, les femmes, les autochtones et les communautés culturelles, parce qu’ils ont l’impression que nos quêtes d’égalité leur retirent quelque chose.
Il existe aussi un clivage entre les hommes et les femmes. Selon l’analyse des sondages menés avant et après chaque scrutin provincial depuis 2007, par l’Étude électorale québécoise, les femmes de 18-29 ans penchent plus à gauche que les jeunes hommes. Puisque le virtuel occupe une place immense dans la vie des jeunes, il est intéressant de considérer que les algorithmes offrent du contenu (et des chambres d’échos) différents selon le genre.
Pensons entre autres aux influenceurs masculinistes qui prônent le retour des femmes à la maison, des valeurs anti-féministes et anti-LGBTQ+, ainsi qu’une vision archaïque du mâle alpha (sans émotion, tout en muscles, pourvoyeurs financiers, ayant réponse à tous les problèmes de la famille). Comme si on assistait à un retour du balancier après des décennies d’ouverture des mentalités, à un ressac post #metoo et à de nouveaux effets pervers de la pandémie.
Plusieurs jeunes hommes séduits par les idées masculinistes sont, comme leurs aînés, confus quant aux définitions possibles de la masculinité. En plus, les jeunes (de tous les genres) viennent de traverser des années teintées par l’isolement social. En évoluant dans un environnement virtuel qui les confortait dans leurs idées plutôt que de les confronter à la différence, iels ont manqué de socialisation et semblent aujourd’hui submergé-es par l’anxiété. Chez plusieurs, le remède à ce mal-être est de s’accrocher à ce qu’ils connaissent, d’éloigner la différence, de rigidifier les frontières de leur monde et de chercher à garder la tête hors de l’eau en faisant couler les autres. Au fond, la réponse à la popularité de la droite chez les jeunes est, peut-être, de prendre soin d’eux.

