Jeudi, 28 mars 2024
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    Cinq raisons en faveur de la reconnaissance du mariage des gais et lesbiennes

    Il est sans doute sage de se rappeler en cette semaine de la Fierté gaie que parmi les débats qui vont animer notre communauté dans les prochains mois, celui de l’accès au mariage pour les personnes de même sexe va revêtir un sens bien particulier. À l’appui de cette affirmation, deux faits qui sont intimement liés mais qui mettent en présence des acteurs différents. Le 37e Parlement a à peine un an d’existence que, déjà, trois projets d’initiative parlementaire ont été déposés concernant le mariage.

    Le premier nous vient de la sénatrice Cools et il est une véritable apologie du mariage hétérosexiste. On peut en effet lire dans le préambule du projet de loi :

    « Attendu que l’institution du mariage est fermement enracinée dans une tradition sociale et juridique du Canada et qu’elle est le reflet de la réalité biologique qui caractérise, de manière unique, l’union sexuelle d’un homme et d’une femme qui, par leur capacité de procréer, sont en mesure de mettre au monde des enfants. »

    Le second projet de loi émane du député Tom Wappel. Ce député libéral invite les députés à se prononcer contre tout changement de la définition établie du mariage et ce, en invoquant l’article 33 de la Charte canadienne (clause dérogatoire).

    Finalement, le troisième a été déposé à l’initiative de notre collègue Svend Robinson le jour même de la Saint-Valentin et il stipule qu’un mariage entre deux personnes n’est pas invalide du seul fait que ces personnes sont du même sexe.

    Deuxième ordre de considération qui rend le débat sur l’accès au mariage des personnes homosexuelles inévitable : un couple montréalais, Michael Hendricks et René Lebœuf, a déposé devant la Cour supérieure une requête en jugement déclaratoire, en conformité avec l’article 453 du Code de procédure civile. Pour l’essentiel, l’objectif recherché est l’invalidation de l’article 365 du Code civil du Québec, qui réserve le mariage aux personnes de sexe opposé. Le caractère inopérant de l’article 365 serait proclamé d’abord en raison de son caractère discriminatoire, selon l’article 10 de la Charte des droits et libertés du Québec, et ensuite parce que le Québec n’a pas constitutionnellement le droit de déterminer les conditions de fond en matière de mariage.

    À cela, ajoutons qu’en juillet 2000, le gouvernement de la Colombie-Britannique a intenté une action en justice afin d’obtenir une déclaration judiciaire statuant que les couples de même sexe ont le droit de se marier.

    Nul ne peut prédire l’issue de cette saga judiciaire et ce n’est certainement pas mon propos de spéculer sur les décisions judiciaires à venir.

    Je veux reconnaître d’entrée de jeu que l’accès au mariage pour les personnes homosexuelles va nous entraîner dans des sentiers bien peu parcourus à ce jour par les militants gais et lesbiennes d’ici.

    À la différence du débat entourant la reconnaissance des conjoints de même sexe, le débat sur le mariage n’a pas d’abord des assises ou un fondement légal. Il ne faut pas oublier que les réformes apportées en 2000 par l’adoption du projet de loi C-23 ont eu pour effet d’abroger la plupart des références explicites au sexe des conjoints dans les lois fédérales. À ce jour, il semblerait que seulement quatre lois ont une définition hétérosexuelle d’époux ou de conjoint : la Loi sur le divorce, la Loi sur la preuve, le Code criminel et la Loi sur la marine marchande.
    Dire que la reconnaissance du mariage entre partenaires de même sexe n’a pas d’abord des assises légales, c’est donc dire qu’une telle reconnaissance nécessiterait peu de modifications additionnelles par rapport à celles effectuées sur les lois visées par le projet de loi C-23 (Loi sur la modernisation de certains régimes, d’avantages et d’obligations dans les lois du Canada, L.C.2000, ch. 12).

    Pour la première fois depuis que le mouvement gai et lesbien a entrepris une démarche systématique de reconnaissance de ses droits, un enjeu substantiellement éthique, une question fondamentalement morale va se poser : les personnes homosexuelles ont-elles le droit de choisir librement le type de relation à l’intérieur de laquelle elles veulent s’engager? À cet égard, il me faut admettre que la problématique du mariage entre partenaires de même sexe peut très largement se circonscrire à la question du libre choix.

    Oui, il arrive que, pour une minorité donnée, la reconnaissance par le législateur, l’État et les tribunaux d’un mode de relation particulière puisse revêtir autant sinon plus d’importance pour les personnes qui s’y engagent que tout autre question pécunière.

    Il ne s’agit pas ici d’édulcorer la reconnaissance obtenue par nos unions de fait puisqu’il s’agit du mode dominant de nos relations dans la communauté gaie.

    Je veux plutôt faire miens les propos de la juge L’Heureux-Dubé, qui a, à mon point de vue, le mieux saisi la pertinence de reconnaître les mariages gais et lesbiens :

    « Étant donné la position marginale qu’occupent les homosexuels dans la société, le message général qui découle presque inévitablement de l’exclusion des couples de même sexe d’une institution sociale si importante est essentiellement que la société considère que de telles unions ne méritent pas le même intérêt, le même respect et la même considération que les unions de personnes de sexe opposé » (Egan e. Canada, [1995] 2. R.C.S. 513 par. 90).

    Certes, cette manière de voir est pour le moins singulière, et l’ouverture d’esprit de la juge L’Heureux-Dubé doit coexister avec des prises de position pour le moins plus conservatrices de ses collègues juges de la Cour suprême. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, la Cour suprême a refusé de faire un lien entre le déni du mariage pour les gais et lesbiennes et le droit à l’égalité garanti par la Charte canadienne.

    Dans Egan e. Canada, [1995] 2. R.C.S. 513, une majorité de juges ont statué que la définition hétérosexiste du mariage n’était pas discriminatoire. On doit d’ailleurs au juge Laforest le plaidoyer le plus vibrant sans doute jamais écrit par un magistrat en faveur de l’acceptation classique et conventionnelle du mariage :

    « Mais la véritable raison d’être du mariage les transcende toutes et repose fermement sur la réalité biologique et sociale qui fait que seuls les couples hétérosexuels ont la capacité de procréer, que la plupart des enfants sont le fruit de ces unions et que ce sont ceux qui entretiennent ce genre d’union qui prennent généralement soin des enfants et qui les élèvent. Dans ce sens, le mariage est, de par sa nature, hétérosexuel ».

    Il ne faut pas oublier que le mariage, ou plutôt son ouverture éventuelle aux personnes du même sexe, nous renvoie à la dualité de notre régime politique. Le Parlement peut, en vertu de l’article 91 (26) de la Constitution, légiférer sur tous les aspects du mariage à l’exception des règles concernant les célébrations qui, elles, relèvent des provinces.

    Or, comme rien n’est simple en politique canadienne, le Québec, au moment de la révision des règles du Code civil qui concernent le droit familial, en 1994, a incorporé à son texte de loi des conditions de fond en matière de mariage, tant et si bien qu’on peut lire dans le code civil du Québec la disposition suivante :

    « Le mariage doit être contracté publiquement devant un célébrant compétant et en présence de deux témoins. Il ne peut l’être qu’entre un homme et une femme qui expriment publiquement leur consentement libre et éclairé à cet égard » (art. 365).

    Cette disposition, comme on le sait, fait l’objet d’une contestation judiciaire et pourrait être déclarée ultra-vires.

    Il n’empêche qu’on chercherait en vain une loi fédérale ou provinciale qui interdit le mariage aux couples homosexuels. Le Parlement a tout au plus adopté une loi, en 1990, qui porte uniquement sur des restrictions au mariage basées sur les liens de parenté par consanguinité ou adoption.

    La définition hétérosexiste du mariage nous est venue d’une décision d’une Cour britannique, en 1866, dans l’affaire Hyde v. Hyde and Woolmansee (1866, L.R. IPSD 130), où la Cour avait à statuer si la loi en vigueur en Angleterre permettait de dissoudre un mariage mormon.

    Cinq raison en faveur de la reconnaissance du mariage pour les homosexuels
    Je suis d’avis qu’il y a au moins cinq raisons qui militent en faveur de la reconnaissance du mariage des gais et lesbiennes.

    1 — La première et sans doute la plus fondamentale concerne l’accès à la citoyenneté. On ne le dira jamais assez, l‘égalité des gais et des lesbiennes ne pourra être complétée tant et aussi longtemps que ces derniers n’auront pas accès aux mêmes droits, obligations et institutions que les hétérosexuels. En ce sens, l’ouverture au mariage vient mettre fin à une situation de discrimination que prohibe les lois et qui ne fait certes pas partie des valeurs fondamentales des Canadiens et des Québécois.

    2 — Pour un certain nombre de gais et de lesbiennes, l’engagement véhiculé par le mariage se situe à un niveau amoureux qualitativement supérieur aux unions libres. Le mariage vient ici donner une reconnaissance sociale à cette forme d’union dont est exempte la simple cohabitation.

    3 — Les valeurs qu’incarnent le mariage telles que le soutien réciproque, l’engagement et la fidélité, si elles méritent d’être célébrées chez les hétérosexuels, méritent aussi d’être élevées au rang d’idéal de vie chez les personnes homosexuelles qui en font le choix.

    4 — Le mariage, à la différence des unions libres, donne accès à une gamme de droits et de responsabilités dès le jour de son enregistrement et ce, sans égard à une période de cohabitation obligée.

    5 — Finalement, le mariage étant une union juridique, cette union continue d’exister lorsque les époux se séparent, de telle sorte que les époux bénéficient d’une protection supplémentaire pour ce qui est des avantages et des obligations en vertu de certaines lois.

    On peut utilement comparer la question du mariage pour les partenaires du même sexe à celles de la réforme des institutions démocratiques.

    Quelles que soient les idées que l’on entretienne à propos du mode de scrutin, du régime parlementaire ou du fonctionnement de l’Assemblée nationale, ce débat suppose un préalable, celui de la reconnaissance de la qualité de citoyen qui s’incarne à travers le droit de vote. Il serait extrêmement difficile d’aborder ces questions si le Québec ou le Canada étaient des sociétés à suffrage restreint où le corps électoral est rétréci et la démocratie n’en est pas une de masse.

    La question du mariage homosexuel se pose dans les mêmes termes. Pour certains, le mariage est un lieu d’oppression qui engendre par sa nature même un rapport d’exploitation. Pour d’autres, les valeurs d’engagement, de soutien réciproque et de fidélité sont passéistes, obsolètes et porteuses d’aliénation.

    Nonobstant ces prises de position, la communauté gaie et lesbienne n’en est pas à débattre du caractère salutaire ou délétère du mariage puisque le droit de le choisir comme lieu d’engagement relationnel lui est interdit. Que l’on nous donne l’accès au mariage comme communauté et faisons-nous confiance par la suite quant au sens profond à donner à cette institution qui tire ses origines de notre passé judéo-chrétien.

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