Samedi, 19 avril 2025
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    Le sauna : espace sexuel ou social ?

    Profil des participants d’OMÉGA qui fréquentent les saunas sur une base régulière. Toutes sortes d’hypothèses pourraient être émises pour établir, a priori, le profil des usagers réguliers des saunas. Certes, c’est un lieu particulièrement accueillant pour un homme qui préfère vivre sa sexualité de façon clandestine et anonyme avec d’autres hommes, et on pourrait croire qu’une bonne proportion de ces réguliers se définissent comme bisexuels ou straights. Or, ça ne semble pas être le cas : les usagers réguliers, plus que les autres, se définissent comme gais ou homosexuels.

    On réalise aussi que c’est une habitude plus fréquente chez les hommes de 30 ans et plus, puisque 81% des usagers réguliers sont dans ce groupe d’âge. Sur le plan socio-économique, ces réguliers ne semblent pas particulièrement désavantagés, au contraire, puisqu’une plus forte proportion d’entre eux ont un revenu annuel d’au moins 20 000$. On pourrait aussi émettre l’hypothèse que les usagers réguliers des saunas ont un rapport à la sexualité distinct de celui des hommes qui les fréquentent peu ou pas… ce qui est effectivement le cas. Un plus grand nombre de partenaires occasionnels à vie et une fréquence plus élevée de sexe anal avec ces mêmes partenaires les distinguent des autres. Ils se diront eux-mêmes plus aventuriers sur le plan sexuel et certains se diront même plutôt compulsifs. La diversité, la nouveauté, la fréquence de toutes situations sexuelles les allument. On les retrouve parmi les plus grands consommateurs de vidéos érotiques gais et ils diront faire un usage plus fréquent d’objets sexuels pour augmenter leur plaisir.

    En termes de préférences sexuelles, une plus forte proportion de ces hommes affirmeront préférer pénétrer plutôt qu’être pénétrés, ce qui ne les empêche pas de partager les deux rôles dans leurs interactions sexuelles. La pratique régulière du sexe en groupe est quatre fois plus souvent rapportée par les usagers réguliers des saunas que chez ceux qui n’y sont pas allés dans les deux dernières années (jamais : 18%; usagers occasionnels : 42%; usagers réguliers : 77%) et, de façon générale, ils semblent proportionnellement plus nombreux, durant cette même période, à s’être engagés dans du sexe anal à risque (sexe anal non protégé avec des partenaires de statut sérologique inconnu ou séropositifs) (tableau 1). Malgré cette propension à vivre une sexualité pour le moins abondante, fréquente et diversifiée, les usagers réguliers des saunas sont aussi ceux qui, d’un six mois à l’autre, disent avoir plus de difficultés à vivre des relations interpersonnelles, affectives et sexuelles satisfaisantes. Ce constat témoignerait-il d’une quête particulière chez ces hommes? À travers ces rencontres fortuites et cette sexualité pour ainsi dire anonyme, sans engagement explicite, y a-t-il l’espoir de combler des besoins d’intimité et de rapprochement à l’autre qui perdurent au fil du temps?

    Pour les usagers réguliers des saunas, le partage de cet espace sexuel se fait de façon concomitante au partage d’autres espaces de socialisation gaie. Si le Village, les bars et les cafés gais sont fréquentés de la même façon par les usagers occasionnels et réguliers des saunas, les usagers réguliers se démarquent par une plus forte présence aux événements socio-culturels ou spéciaux gais et par leur partage plus fréquent de certaines activités sociales avec des amis gais. La lecture gaie fait davantage partie de leurs habitudes et ils se font davantage un devoir de fréquenter les commerces ainsi que les services spécifiquement gais. En fait, leur engagement social à la cause gaie est plus explicite. Somme toute, les usagers réguliers des saunas participent de façon active à la vie communautaire gaie et leur fréquentation des saunas semble en continuité et en harmonie avec leur implication dans d’autres espaces sociaux qui délimitent et caractérisent le milieu gai.

    La fréquentation régulière des saunas n’est donc pas qu’une habitude strictement personnelle privilégiée pour vivre des rencontres sexuelles, mais aussi un comportement social intégré à un style de vie, qui contribue à colorer son appartenance, voire son engagement, à une certaine communauté. Elle est aussi l’indice d’une certaine quête sur le plan affectif qui demeure plus ou moins satisfaite. Sur le plan de la prévention du VIH toutefois, cet espace à la fois sexuel et social, demeure un contexte où le risque, pour des raisons à la fois personnelles et contextuelles, est assurément présent. L’organisation physique des espaces de sexe dans les saunas, les normes d’interaction et de drague qui y prévalent (échanges brefs, non nécessité de communiquer verbalement, saillance et omniprésence de la sensualité et de la sexualité, etc.) et l’anticipation d’obtenir une satisfaction sexuelle dans l’immédiat, rendent plus complexe la négociation du sexe sécuritaire chez ceux qui s’exposent régulièrement à cette atmosphère.

    — par Joanne Otis Ph.D (chercheure) et collaborateurs

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