ARTICLE TIRÉ DE NOS ARCHIVES DE 1998
Christiane Charrette n’a pas réinventé le concept du talk show, mais elle fait partie de ceux et celles qui en rehaussent le niveau. Aussi, son émission et son concept pourraient servir de modèles à de jeunes animateurs-trices. Car ici, les invités ne sont pas les faire-valoir de leur hôtesse et ils ne sont pas contraints de se soumettre à des jeux de plus ou moins bon goût. Christiane Charrette en Direct a rapidement conquis le cœur du public par la qualité de ses entrevues. Preuve qu’il n’est pas besoin de flatter les instincts les plus bas des téléspectateurs pour les intéresser.
Derrière cette réussite, une femme discrète qui ne recherche pas à être elle-même interviewée ni à faire la une des journaux. Christiane Charrette a bien voulu, cependant, se prêter au jeu de cette chronique. En ce premier lundi de tempête de verglas, les couloirs de Radio Canada témoignaient de ces journées particulières que le Québec vivait. Éclairage diffus, cafétéria déserte, personnel réduit mais chaleur de l’antistar de la SRC.
La première fois ?
La première définition que j’ai entendue du mot homosexuel — je ne sais plus si c’est à l’école ou ailleurs — c’était : des hommes qui n’aiment pas les femmes. Cela m’avait perturbée parce que je l’avais pris d’une manière négative. C’est un souvenir qui m’avait rendue perplexe. Je ne sais si je l’ai, pris à l’époque, comme une menace, mais heureusement, cette image-là a vite disparu. J’imagine que plus tard, adolescente, c’est la caricature de la tapette qui a dû me frapper, comme tout le monde. On pensait que les homosexuels étaient des hommes très efféminés. Mais en fait, je n’ai pas vraiment de souvenirs. Jeune adulte, étudiante en histoire de l’art à l’université et professionnelle dans le monde de l’art, j’ai effectivement rencontré beaucoup de gais. C’étaient des milieux où il y en avait beaucoup. Très vite, ils ont fait partie de mon environnement. Je n’ai pas de réponse très élaborée à vous donner. Au début il y a l’ignorance de l’enfance, le cliché de la tapette à l’adolescence, puis l’université, où je me retrouve avec des gais qui font partie de ma vie, qui sont mes amis, mes collègues. J’ai toujours travaillé dans des environnements où il y avait une très grande présence gaie.
Et l’homosexualité féminine ?
Curieusement, mes premières questions ont concerné les hommes. J’ai eu conscience de la présence de lesbiennes plus tard. Il est vrai que j’en ai moins connues dans mon milieu de travail, ou peut-être que je ne l’ai pas vu ou su. Pourtant, en général, on finit par savoir l’orientation sexuelle des gens avec lesquels on travaille. Il y en avait peut-être moins autour de moi.
Hésitation sur l’orientation sexuelle ?
Je suis bien ordinaire (rires !). Je n’ai jamais été attirée par les filles. J’étais comme les autres adolescentes, d’abord amoureuse d’un voisin, puis je changeais de voisins.
Vous abordez souvent des thématiques gaies dans vos émissions. Auriez-vous pu le faire avec autant de facilité il y a dix ans?
Je ne sais pas si on aurait pu le faire il y a dix ans, mais j’aime à penser que j’aurais pu le faire. Mais quand j’ai commencé, j’étais chroniqueuse et je m’inscrivais dans des contenus qui étaient décidés par d’autres. En devenant animatrice et productrice, on peut décider, mon équipe et moi, du contenu. Dans les années quatre-vingts, j’aurais été prête parce que mon milieu étudiant et professionnel était très ouvert à cela et parce que dans le monde des arts, les gais ont toujours été des éclaireurs. L’autre question, c’est de savoir si l’entourage, les producteurs, les télédiffuseurs, aurait permis qu’on en parle si franchement? J’ose penser que oui. Si quelqu’un avait eu la volonté de le faire, il aurait sûrement réussi. De toute façon, il y a encore aujourd’hui des gens qui réagissent très mal. Si on prend l’exemple de Mado, que j’ai reçue dans des émissions, ce personnage coloré a suscité la controverse. Il y avait ceux qui la détestaient et ceux qui l’adoraient. Mais je sais aussi que dès que nous avons touché des sujets gais, nous avons reçu un appui très fort de la communauté gaie. De toute façon, les gais font preuve d’une grande ouverture d’esprit et ont souvent beaucoup de choses à dire.
Vous êtes aussi très appréciée par cette même communauté.
La communauté gaie donne à toute l’équipe un grand feed-back. Ce feed-back est extrêmement précieux parce qu’on est dans les médias. À Radio-Canada, on est très proche du Village. On y va manger presque tous les midis. Les gens viennent nous parler, nous font des signes dans la rue. Je ressens une grande chaleur, une reconnaissance, un appui de la communauté gaie. C’est pour nous un grand stimulant. Je tombe un peu dans le stéréotype sur les gais qui sont gentils, mais quand même, il y a une ouverture d’esprit, un sens de la fête, un sens de l’avant-garde chez la plupart des gais. C’est un terrain stimulant qui marche bien avec les médias. Ce sont des gens qui sont prêts à prendre la parole, qui sont habitués à la controverse, à la polémique.
Pourtant, beaucoup de personnalités publiques gaies ou lesbiennes taisent leur orientation sexuelle devant les caméras ou les micros.
C’est vrai, et cela devient délicat quand on fait une entrevue avec quelqu’un qui ne veut pas que cela se sache. Il faut faire attention. En tant qu’intervieweur, on doit se positionner autrement. Il faut aller le plus loin possible dans l’entrevue mais aussi respecter les choix de la personne interviewée. Mais en revanche, je crois que c’est marginaliser les gais lorsqu’on les invite uniquement pour parler d’homosexualité. Une personne gaie peut être invitée pour parler d’autre chose que d’homosexualité.
Cependant, on peut se poser la question, pourquoi certains ou certaines décident de ne jamais aborder le sujet. Je sais que certains ne veulent jamais parler du domaine privé ou l’environnement familial. Ont-ils peur de perdre une certaine neutralité en devenant d’un coup plus stéréotypé, plus confiné à un ghetto? Ont-ils peur de voir leur carrière compromise? Je n’ai pas de réponses. Je me demande toujours ce que je ferais si j’étais à leur place, moi qui n’aime pas beaucoup, publiquement, parler de ma vie privée. Sven Robinson est un député éminemment sympathique, ses ambitions politiques sont-elles maintenant limitées depuis qu’il l’a dit, est-ce qu’il pourrait devenir ministre ou premier ministre? Je ne le sais pas. Mais si cette question se pose, c’est qu’elle traduit encore un tabou. D’un côté, il y a une partie de moi-même qui souhaiterait que les personnalités publiques homosexuelles le fassent pour que les choses avancent; de l’autre, je comprends tout à fait que les mêmes personnalités veuillent protéger leur vie privée. Mais dans le cas d’un homosexuel, de choisir de dire ou de ne pas dire publiquement son orientation sexuelle devient un problème politique ou social.
En revanche, ce que j’aime moins, mais c’est une tendance qui a pour ainsi dire disparu, c’est l’homosexuel qui joue le jeu de cruiser les filles ou qui fait croire qu’il a une fiancée. Je n’aime pas cette comédie.
C’est facile d’avoir des amis gais, mais accepteriez-vous aussi facilement l’homosexualité chez un de vos enfants ?
C’est difficile pour moi de répondre à cette question puisque je n’ai pas d’enfants. J’aurais envie de dire — mais c’est assez facile pour moi — qu’on souhaiterait être des parents à l’esprit ouvert, que la ségrégation ne doit pas commencer par la famille. J’aime à penser que j’aurais l’esprit ouvert et que je ne serais pas déçue d’un enfant à cause de son orientation sexuelle. J’ai du mal à répondre hypothétiquement à des questions qui ne se posent pas pour moi. Honnêtement, je ne peux pas croire que cela me dérangerait. Mais je vis dans un environnement tellement privilégié que je me berce peut-être d’illusions en pensant que c’est plus facile que ça ne l’est dans la réalité. J’ai un couple d’amis qui ont un petit garçon d’âge préscolaire. Tout ce qu’il aime, ce sont les robes, il a un jouet qui est une petite cuisine où il lave la vaisselle. C’est un enfant adorable, créateur, et je me dis que c’est peut-être un futur Yves Saint-Laurent (rires). Je le trouve assez trippant puisque sa créativité s’exprime de façon marginale et que je suis curieuse de savoir ce qu’il va devenir. Je trouve aussi formidable que ses parents, de la manière la plus naturelle possible, lui achètent toutes les Barbies qu’il veut, toutes les robes qui vont avec. Je trouve les parents fantastiques. Et un jour, j’ai demandé aux parents s’ils pensaient que leur fils était homosexuel. Et là, j’ai senti un froid. J’ai regretté d’avoir posé la question. Je me suis demandée si pour les parents, c’était tellement naturel qu’ils ne se posaient même plus la question ou, au contraire, si je venais de toucher un tabou. En fait, je me rends compte que j’ai beaucoup plus d’interrogations sur ce sujet que de réponses.
Comment décidez-vous, dans votre équipe, de parler des gais ou d’homosexualité ?
On suit seulement simplement nos intérêts. Nous ne nous sommes pas donnés le mandat de parler obligatoirement des gais. Nous le faisons parce que ça nous intéresse, naturellement, sans nous créer d’obligations. La communauté est vivante et stimulante, et elle nous inspire souvent.