Dans un bar gai aux lumières roses de la station balnéaire de Phuket, dans le sud de la Thaïlande, un chanteur transgenre entonne une chanson d’amour en mandarin. Car les touristes chinois sont nombreux dans l’auditoire, en quête d’un espace public où exprimer librement leur homosexualité, loin de Pékin.
Que le chanteur ne maîtrise visiblement pas la langue n’entame en rien son succès. Et quand entrent en scène les « go-go boys », les clients chinois se pressent pour se prendre en photo avec eux.
« Je veux trouver un moyen de vivre ici. On s’amuse et c’est si ouvert. Les hommes peuvent se tenir la main dans la rue et personne n’y prête attention », s’enthousiasme un jeune développeur de sites web venu de Shanghaï, rencontré parmi les clients du bar ZAG, un des établissements de la zone « Paradise Complex », épicentre de la vie nocturne de Phuket.
« En Chine, si vous faites cela, ça fait toute une histoire, les gens vous prennent en photo », dit-il avant de monter sur scène pour une danse. Avec une population LGBT estimée à 70 millions de personnes, la Chine est le troisième plus grand marché « rose » derrière l’Europe et les États-Unis.
Les professionnels du tourisme, notamment en Thaïlande, font tout pour attirer ces clients. En Chine, faire son coming-out reste difficile et s’habiller ou parler de façon jugée efféminée peut valoir l’opprobre familial. Des parents chinois vont jusqu’à conduire leurs enfants dans des cliniques de « conversion » pour tenter de ramener leur progéniture dans ce qu’ils estiment être le droit chemin.
L’homosexualité était considérée en Chine comme une maladie mentale jusqu’en 2001 et même comme un crime jusqu’en 1997. Des défenseurs des droits des homosexuels ont été arrêtés par le passé.
En comparaison, la Thaïlande, connue pour sa tolérance sexuelle, est un havre de paix pour les touristes gais chinois. Officiellement en Thaïlande, les mariages du même sexe ne sont pas reconnus. Mais des mariages symboliques sont tenus, souvent en présence de moines bouddhistes.
En Chine au contraire, c’est totalement illégal, et l’an dernier deux hommes ayant essayé de se marier se sont retrouvés devant la justice.
Même si la situation n’est pas toujours facile pour les homosexuels thaïlandais dans le monde du travail classique, au moins les cabarets et bars « gai-friendly » sont légion en Thaïlande.
« Chaque nuit, la moitié de nos clients viennent de Chine. Ils venaient déjà par le passé, mais cette année ils sont très nombreux, alors on a ajouté des chansons en chinois », explique Bon Nadech, le propriétaire thaïlandais du bar ZAG.
Une dizaine d’agences de voyages offrent des forfaits « spéciaux gais » vers la Thaïlande, en présentant comme argument de vente des photos de fêtes sur des yachts aux couleurs de l’arc-en-ciel. Pour de nombreux touristes chinois, c’est l’occasion de respirer.
« J’ai beaucoup d’amis qui ne se sentent pas en sécurité en Chine et ont le sentiment qu’ils doivent se cacher », explique Ji Chengfeng, un homme d’affaires de Pékin âgé de 37 ans qui vient souvent en vacances en Thaïlande.
Les Chinois forment le gros des troupes des millions de touristes étrangers qui débarquent chaque année sur les plages de Thaïlande. Depuis le début de 2017, ils ont déjà été plus de 6,6 millions à séjourner en Thaïlande, contre moins de 700 000 Américains et 500 000 Français.
De son côté, la Thaïlande a mis le paquet pour attirer les touristes gais étrangers. Dès 2013, l’Autorité thaïlandaise du tourisme (TAT) a lancé une campagne à New York pour les séduire: « Go Thai, be free », disait le slogan publicitaire.
En plein boom depuis plusieurs années, le marché chinois du voyage aiguise les appétits de toutes les grandes destinations touristiques. A fortiori celui de la Thaïlande voisine, où le tourisme est un secteur primordial de l’économie: voyagistes comme discothèques font désormais apprendre des rudiments de mandarin à leurs employés.