La Covid-19 lève un voile sur la situation des aîné.es dans nos sociétés occidentales. On s’était acheté une bonne conscience avec les services offerts, les maisons des aîné.e.s, les CHSLD. Et puis, on les avait oublié.e.s se gargarisant sur le fait que nous en faisions beaucoup pour « nos aîné.e.s » restant sourd aux admonestations de celles (et aussi ceux, plus rares) qui étaient sur le terrain, qui voyaient l’insupportable condition à laquelle nos aîné.es était soumis, tout comme celles et ceux qui travaillaient auprès d’eux. Des admonestations répétées depuis des années. Avec la Covid-19, le voile s’est déchiré et les projecteurs éclairent crument une réalité que l’on n’aurait jamais voulu voir. Les aîné.e.s sont devenu.es des citoyen.nes de seconde zone.
Les causes de cette situation sont nombreuses. Bien sûr, il y a eu les coupures budgétaires qui datent du gouvernement de Lucien Bouchard, remettant indirectement le soin de s’occuper des aîné.es aux mains du privé. D’autres coupures ont suivi au nom de l’idéal et mythique équilibre budgétaire, garant d’un avenir meilleur pour tous et toutes. Le résultat est édifiant aujourd’hui avec le délabrement des conditions de vie les ancien.nes. Les plus cyniques diront que les élu.e.s ne considèrent pas les personnes âgé.es comme électoralement payant et n’accorderaient donc qu’une attention bienveillante et condescendante, mais pas prioritaire.
On peut effectivement tirer à boulets rouges sur le gouvernement actuel pour ses manquements graves à l’égard d’une partie de sa population. On pourrait même l’accuser de non assistance à personne en danger. Sauf qu’il faudrait mettre au banc des accusés tous les gouvernements qui se sont succédé depuis plus de 20 ans pour qu’ils rendent aujourd’hui des comptes.
Mais collectivement, qu’avons-nous fait pour éviter que nous nous retrouvions aujourd’hui aussi secoué par ce que nous découvrons. Pourtant, les signaux de détresse ont été régulièrement lancés, encore eut-il fallu qu’on ne détourne pas le regard. Depuis longtemps, nous savons le salaire de misère que reçoivent les préposées aux bénéficiaires, et que pour ne pas que le système s’écroule, nous savons que de nombreux bénévoles s’activaient quotidiennement pour ne pas que ces soi-disant maisons des aîné.e.s ne soient pas des mouroirs, de simples antichambres de la morgue.
Mais collectivement qu’avons-nous raté ? L’individualisme qui met en pôle position d’une vie réussie, une profession qui rapporte avec toutes les concessions et tous les compromis pour y arriver. Moins de temps pour soi et pour ses proches, accepter des postes qui nous éloignent d’eux, ne plus avoir de place dans l’agenda pour aller rendre visite à ses parents, ses oncles et ses tantes. Sans compter que plus personne ne veut vieillir, la vieillesse étant considérée comme une maladie qui nous rendrait moins performant, moins compétitif, dans une société qui mise beaucoup trop sur le rendement et le profit. Les personnes aînées sont considérées comme moins productives, et deviennent une charge. Personne alors ne veut vieillir
La réalité nous rattrape alors. Et à bien la regarder, elle est aussi bien plus complexe que la belle image du miroir que l’on nous tend.
Un exemple. À partir du moment où l’on a demandé aux personnes de plus de 70 ans de ne plus sortir, le nombre de bénévoles qui s’occupaient des aîné.es à diminuer de façon drastique. Parce que la grande majorité de ceux-ci avaient dépassé l’âge limite.
Les personnes aînées, contrairement à une idée reçue ne sont pas tous et toutes des personnes en perte d’autonomie physique ou cognitive et elles participent encore grandement à la vie de la cité. Mais peut-être ont-ils et elles une plus grande conscience de ce que vivent leurs pairs. Ils et elles ne sont pas « à charge » des plus jeunes comme certains voudraient nous le faire croire. Loin de là. Mais tous et toutes englobé.es dans le fameux syntagme « nos aîné.es », ils et elles se voient perçues comme des assisté.es sociaux dont la bonne conscience commande qu’on s’en occupe, mais qui sont un poids pour la société.
Et je ne saluerai jamais assez le choix des communautés LGBTQ2+ d’avoir voulu changer le paradigme en s’intéressant au vieillissement des membres de nos communautés. Et plus particulièrement grâce à la Fondation Émergence qui a mis en place un programme « Pour que vieillir soit gai » pour ne pas que les aîné.e.s de nos communautés soient délaissé.e.s, abandonné.e.s. La Fondation Émergence, par ses rencontres avec les différents acteurs et actrices du monde des aîné.es a souhaitait que les membres de nos communautés puissent vieillir dans le respect, la bienveillance, la bientraitance. En somme, de leur conserver – ou de leur redonner – leur dignité.
Si j’insiste sur ce qu’a mis en place la Fondation Émergence, je n’en oublie pas pour autant toutes les autres initiatives locales prises pour prendre soin de la qualité de vie des aîné.e.s. Elles sont nombreuses mais peu valorisées.
Vieillir ce n’est pas l’affaire d’un groupe d’âge, ni même d’orientation sexuelle et d’identité de genre, mais c’est l’affaire de tous et toutes et ce quelles que soient nos origines, notre religion, notre histoire, nos réussites comme nos échecs. Nous sommes toutes et tous sur un même continuum qui demandent que l’on soit attentif aux uns et aux autres indépendamment de l’âge qu’ils et elles peuvent avoir. Enfants, adolescent.e.s, adultes, aîné.e.s, ce n’est qu’à l’attention que nous porterons à chacun et chacune qui forment un maillon indispensable de la communauté d’une société que l’on pourra évaluer si cette dernière est une réussite ou un échec.
Et au regard de ce que nous vivons aujourd’hui, on peut sans nul doute affirmer que c’est un échec.