Michel Girouard n’est plus. C’est sa sœur qui a annoncé qu’il est décédé, le vendredi 9 avril, au CHUM dans une publication sur Facebook. Il était âgé de 76 ans. «C’est avec une grande tristesse que je fais part du décès de mon frère Michel ce matin au CHUM. À sa demande aucune autre information ne sera donnée et la suite sera privée», a-t-elle indiqué. Né à Outremont en 1944 dans un milieu aisé, Michel Girouard est attiré très jeune par l’industrie du spectacle. Pendant toute sa carrière, son intérêt pour le vedettariat l’amène à côtoyer de multiples vedettes québécoises et internationales. En 1972, il affiche ouvertement son homosexualité en annonçant publiquement son union (symbolique) avec Réjean Tremblay, son pianiste.
Nous l’avons interviewé à quelques reprises dans FUGUES. La dernière fois, en 2016, c’était au tour de notre collaborateur Patick Brunette de s’entretenir avec Michel. (Re)voici l’entrevue :
«Pour moi, pas question d’avoir de funérailles! Pourquoi? Parce que j’aurai été assez exposé toute ma vie!» Faut lui donner, Michel Girouard a le sens du punch. À 72 ans, le chroniqueur culturel a accepté l’invitation de Fugues à faire le survol d’une vie qui n’a rien d’ennuyant. C’est d’ailleurs pour souligner ce parcours peu commun à vivre ouvertement son homosexualité que Michel a reçu le prix Iris-Média, remis lors du Gala Arc-en-ciel 2016.
Michel Girouard me donne rendez-vous au Thursday’s, bistro branché de la rue Crescent, au centre-ville de Montréal. Attablé devant un Bloody Mary, il me présente Pablo, son petit Yorkshire, bien installé dans un sac probablement griffé. « Sais-tu qui est le parrain de mon chien Pablo? C’est Ben Affleck. Il y a 7 ans, j’étais dans un resto sur Saint-Laurent et à un moment, y’a Ben qui s’est tourné vers mon chien pour le lui verser quelques gouttes d’eau pour le baptiser…»
Michel Girouard est une encyclopédie à anecdotes, un véritable disque dur d’histoires avec le gratin du show business international. J’ai à peine le temps de mettre en marche mon enregistreur qu’il sort sa tablette électronique à la recherche d’une photo qu’il tient à me montrer. « As-tu déjà vu ma photo avec Cindy Crawford? » Le voilà lancé à la recherche de cette photo. Son doigt clique et glisse sur la tablette. « Ben voyons, elle est où? (…) Tiens, ça c’est ma photo avec Michael Caine. (…) Ici, c’est avec RuPaul. (…) Ça, c’est moi et Xavier Dolan. (…) Tu reconnais ce chanteur? C’est Mika. (…) »
Je sais que si je ne l’arrête pas, on va passer des heures à balayer du doigt des photos de Michel avec la colonie artistique au grand complet. J’essaie de reprendre le contrôle de l’entrevue :
Combien de photos as-tu de toi avec les stars?
Ça ne se compte plus!
La photo dont t’es le plus fier?
Celle avec le peinte Salvador Dali. J’avais 23 ans.
Je l’avoue, je suis impressionné! Première constatation : Michel Girouard a vraiment rencontré toutes les stars de ce monde, de Brel à Céline en passant par Ingrid Bergman, Versace, Andy Warhol.
Tiens, la voici ma photo avec Cindy Crawford! Y’a juste moi qui a ces photos-là!
Michel referme (momentanément) sa tablette et je l’invite à me parler de lui. Deuxième constatation : c’est plus facile pour Michel de parler des autres que de parler de lui.
Ouvertement gai à 14 ans
Michel est né le 29 août 1944, à Outremont, quartier huppé de Montréal. « On habitait sur l’avenue Duchastel, pas très loin de la résidence de Pierre-Elliot Trudeau. J’ai d’ailleurs été élevé avec les neveux de Trudeau. Aujourd’hui, quand je vois Justin, le fils de Pierre-Elliot devenu premier ministre du Canada, je peux juste pas le croire! Je me rappelle quand il était bébé et qu’il se faisait nourrir par sa mère! »
Je ramène Michel sur le sujet qui m’intéresse : lui. Il m’apprend qu’il a deux frères et une sœur, que son grand-père avait fondé la compagnie de systèmes de chauffage Volcano à Saint-Hyacinthe et que son père, Paul Girouard, en a été le directeur général jusqu’en 1963. Michel grandit au sein d’une famille aisée et ouverte d’esprit. En 1958, à l’âge de 14 ans, Michel fait son coming out. « Quand j’ai dit à mon père que j’étais gai — d’ailleurs, on disait pas gai à ce moment-là, on disait ‘‘homosexuel ’’ -, mon père, alors président des Grands Ballets Canadiens m’a répondu : ‘‘ Tu sais, l’homosexualité, c’est pas toi qui as inventé ça! ’’ C’était banal pour lui. Mon père achetait le magazine Paris Match chaque semaine et il y avait des photos de Jean Marais qui embrassait Jean Cocteau tout le temps. Et Charles Trenet qui était avec son chum. Aussi, Jean-Claude Brialy avec… »
Michel est catégorique : jamais il n’a vécu d’intimidation à cause de son homosexualité. Même à l’adolescence, ça n’a jamais été un problème pour lui : « Y’a jamais personne qui m’a parlé de mon homosexualité de façon négative. J’ai même été élu président de ma classe. J’étais le chouchou! ». Il se rappelle, alors étudiant au Michel avec notre journaliste Patrickcollège Brébeuf, vers l’âge de 14 ans, il avait offert une fleur à un collègue de classe. « Le gars assis à côté de moi dans la classe était tellement beau que je lui avais acheté une rose. Le jésuite, directeur de l’établissement, a fait venir mon père et lui a dit : ‘‘ Vous comprendrez que votre fils a offert une rose… à un garçon. C’est très particulier. ’’ Mon père a regardé le jésuite dans les yeux et lui a répondu : ‘‘ Je ne pense pas que c’est LUI qui a inventé ça! ’’ Le jésuite est devenu aussi rouge que la rose! »
Une étoile parmi les stars
Michel a toujours été fasciné par le monde du spectacle, par les médias. Il n’a que 16 ans lorsqu’il participe à l’émission Télé-Métro. «On m’a invité à parler de ce que c’était la vie d’un adolescent et aussi des spectacles que j’aimais. » L’année suivante, c’est le directeur du journal La Patrie, Yves Michaud, qui le convoque. « Il voulait créer une page pour les jeunes, ‘‘ Le coin des copains ’’ et il voulait que je m’en occupe. » Pendant presque quatre années, Michel écrit sur les jeunes idoles de la chanson. « C’est devenu tellement populaire, je devais recevoir mille lettres par semaine! »
Cinquante ans plus tard, Michel est toujours bien présent dans notre monde médiatique, toujours à faire ce qu’il aime, parler des vedettes, des stars d’ici et d’ailleurs. Que ce soit à la radio, dans les journaux et les magazines, à la télé, et maintenant aussi sur le web (Michel est un homme de son temps, il a son propre site web), il ne voit pas le jour où il prendra sa retraite. « Ma retraite, c’est quand je vais mourir! Et je ne peux pas faire un autre métier, je ne connais pas autre chose que ce milieu-là! »
C’est dans ce milieu aussi que Michel s’est permis quelques infidélités envers son métier de journaliste artistique. Il a poussé la note en endisquant quelques chansons dans les années 60-70 et il a animé de 1977 à 1980, à Télé-Métropole (maintenant TVA), Le jardin des étoiles. «C’était le plus gros show de variétés au Québec. J’ai reçu de grandes stars comme Grace Jones, Tino Rossi, Léo Ferré…» Michel commande au serveur du Thursday’s un second Bloody Mary.
Un mariage extravagant
J’avais trois ans quand Michel Girouard s’est marié à un homme. Je n’ai donc aucun souvenir de cet événement qui a provoqué, selon ses dires, une onde de choc partout à travers le monde. C’était en 1972 : trois ans après la décriminalisation de l’homosexualité et 33 ans avant que la loi canadienne ne permette aux gais de se marier.
Michel ressort sa tablette numérique et retrouve des photos de lui et de son amoureux de l’époque, le pianiste Réjean Tremblay. «C’était fou! Tout le monde parlait de notre mariage. Au Québec, on n’avait jamais vu un stunt comme ça! Même les médias américains parlaient de nous. Le magazine The Advocate a fait un papier sur ça!»
Michel se rappelle du début de cette histoire. « J’étais à la radio, à CKMF. Je reçois un appel d’un homme en région qui me dit qu’il trouve ça dur d’être une tapette. On est en ondes et moi je dis que c’est correct d’être homosexuel et j’ajoute que j’étais pour marier mon chum. Le lendemain matin, c’était dans tous les journaux, le monde ne parlait que de ça! » Le 26 février 1972, l’avocat Claude
Archambault unit civilement Michel et Réjean, âgés de 27 et 25 ans, même si une telle initiative n’avait jamais eu lieu auparavant au Québec. « On a fait ça dans le bar de Dominique Michel, Chez Zouzou. On avait comme témoins Danielle Ouimet et Andrée Boucher. Il y en avait des caméras sur place! » Désirant aussi se marier religieusement, Michel et Réjean se sont envolés deux semaines plus tard vers la Californie, à Los Angeles, pour faire bénir leur union par Troy Perry, un révérend de la Metropolitan Community Church. « C’était un événement tellement gros que mes parents ont même été obligés de sortir ma sœur du couvent où elle étudiait. »
Autre constatation : Michel a du guts! Bien avant que ce soit socialement accepté de parler publiquement de son homosexualité, lui, il allait plus loin en se mariant sans se préoccuper nullement de ce que « les gens vont dire ». Son union avec son pianiste a été de courte durée : ils se sont séparés après trois ans.
Sous la couverture
En 1980, Michel Girouard lance sa biographie, écrite par Denis Monette : ‘‘ Je vis mon homosexualité ’’. Il y raconte sa jeunesse, ses amours, ses rencontres. « Mais ce qui a vraiment marqué les gens, c’est ma relation avec le magnifique mannequin Emanuel Miranda. Dans le livre, j’avais écrit ‘‘ Mon plus beau souvenir, c’est de me réveiller avec son sperme givré sur mon visage! ’’ Je me rappelle que Pierre Péladeau, mon éditeur, m’avait dit ‘‘ on peut pas passer une affaire comme ça! Ça a pas de câlisse de bon sens! ’’ Moi, je voulais que ça soit dans le bouquin.» Encore une fois, Michel avait réussi à faire parler de lui!
Plus j’écoute Michel me raconter ses anecdotes, plus je découvre un homme sûr de lui, bien dans sa beau et qui assume pleinement son homosexualité et ça, depuis son tout jeune âge. Au Québec, jusqu’à preuve du contraire, il est le premier à l’avoir vécu publiquement et sans retenue. « J’ai jamais reçu aucun commentaire homophobe. D’ailleurs, je me rappelle il y a 10-12 ans, j’animais un show de mode à la baie James. L’organisateur m’a fait une mise en garde, en me disant que j’allais être dans le trouble en montant sur scène, parce qu’il y avait une méchante gang de gars machos dans la salle. Je lui ai dit de ne pas s’inquiéter. Je suis monté sur scène, j’ai pris le micro et là j’ai lâché : ‘‘ Oh non! Pas 300 beefs devant moi! C’est trop d’émotion! Ôtez tous vos chandails, je veux voir vos bras, faut que j’y touche. Je veux voir sur le stage les dix plus beaux d’entre vous, parce qu’après, on va à la taverne ensemble! ’’ L’organisateur en revenait pas! Faut juste s’avoir s’ajuster à son public! »
Avec le temps
On aborde la question de sa célébrité. « La gloire est le deuil éclatant du bonheur. C’est pas moi qui le dis, c’est l’écrivaine Madame de Staël. Je trouve que c’est ça la célébrité, c’est trop artificiel. »
Je ne m’attendais pas à entendre de tels mots sortir de la bouche de l’homme devant moi, celui qui a fait de ses rencontres avec les célébrités sa marque de commerce. « J’ai lunché avec Jacques Brel. J’ai interviewé Marleen Dietrich. Tu peux pas être normal après avoir côtoyé tous ces gens. »
J’en profite pour le questionner sur ses goûts musicaux. Il me nomme Jean-Pierre Ferland, Félix Leclerc, Céline Dion, Lynda Lemay,… « Une chanson qui a marqué ma vie, c’est Avec le temps, de Ferré. » Il se met à fredonner les paroles : « Avec le temps, va, tout s’en va. On oublie le visage et l’on oublie la voix » Il arrête de chanter et me dit : « À 16 ans, quand j’écoutais les paroles, je réa-lisais pas ça. Aujourd’hui, je comprends la force de cette chanson» Il reprend la chanson : «Avec le temps, on n’aime plus.»
Je découvre un aspect de Michel Girouard qui m’était inconnu. Moins artificiel que je ne l’aurais cru. Même spirituel. « Je suis croyant. Je ne crois pas aux évêques, mais en une force supérieu-re. Je vais à la cathédrale une fois par mois, tous les mois. J’aime la quiétude de ce lieu où les choses sont vraies. Assis seul, je vais allumer un lampion pour les gens que j’aime. Je fais ça depuis l’âge de 20 ans. Toujours seul. Je sors de là et je me sens habité par je ne sais quoi. On vit tellement dans un monde artificiel.»
Il termine son verre de Bloody Mary et m’invite à casser la croûte. Le temps me manque mais j’ose une dernière question : «Michel, puis-je moi aussi avoir une photo avec toi et ton chien Pablo?».
Les autres photos illustrant l’article proviennent des archives de Michel Girouard.