Dimanche, 5 mai 2024
• • •
    Publicité

    Héros de notre histoire, Michel Audy

    « Nous sommes une communauté parce que nous avons une mémoire », écrit Vincent Fortier dans Les Racines secondaires 1. Même s’il n’est décédé que récemment, en 2020, qui se souvient de Michel Audy aujourd’hui ?

    Est-il méconnu du fait qu’il a eu « une carrière prolifique hors des circuits traditionnels, notamment en restant implanté à Bécancour 2 », une municipalité de la région Centre-du-Québec ? Lui qui fut à la fois réalisateur, scénariste, monteur, directeur de la photographie et producteur de cinéma. Lui dont les films ont été diffusés dans plus de vingt-cinq pays de la francophonie et qui a reçu une multitude de prix internationaux lors de prestigieux événements comme le Festival international du Film d’expression française de Dinard (France), le Festival international d’Avignon (France), La Mostra du Film d’Épernay (France), le Festival international de Viterbo (Italie) et, en 1975, le Festival international du cinéma indépendant à Thonon-les-Bains (France) où La Maison qui empêche de voir la ville est sorti grand gagnant. D’ailleurs, le film tiendra l’affiche plusieurs mois dans un cinéma du quartier Le Marais, à Paris, et l’année suivante, sera primé au Sydney Film Festival, au Melbourne Film Festival et au Festival de Cannes, Rencontres internationales Films et Jeunesse.

    Né à Grand-Mère en 1947, Michel Audy est attiré par le cinéma dès l’adolescence, alors qu’il étudie au Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières avec l’idée de devenir… prêtre. Mais, « c’est lorsque son frère a gagné un concours et qu’il a ramené une petite caméra en plastique […] que la vie de Michel Audy a connu son grand tournant. […] “Je montais sur le toit de la maison, confie-t-il, et je filmais des niaiseries et je visionnais mes bobines plus tard. Ça m’a ému. Et puis la voisine, une Anglaise qui était vieille fille, me donnait 50 cents pour aller au cinéma. J’y entrais vers 13h pour en ressortir à minuit à la fermeture” 3. » Détenteur d’une licence d’opérateur en cinématographie et d’une maîtrise en cinéma, il acquiert une expérience personnelle dans divers aspects du métier de cinéaste : caméraman, scénariste, éclairagiste, metteur en scène, décorateur, costumier, monteur (image et son), mixeur, ainsi qu’assistant du réalisateur Jean Pierre Lefebvre pour le film Q-bec my love. Il poursuit sa formation à l’Office national du film du Canada avec les Claude Jutra, Denys Arcand et Gilles Carle, et sera l’un des cinq gagnants du concours des Premiers œuvres. En plus d’une dizaine de longs métrages de fiction et de deux cents documentaires, ses courts métrages et ses émissions de télévision et de radio éducatives l’amèneront sur plusieurs continents. « À titre de cinéaste-pédagogue, il a réalisé quelque mille émissions pédagogiques destinées à des programmes de cours 4. » Lui-même dispensera des ateliers de cinéma et enseignera dans quelques institutions collégiales et universitaires. En 1973, il deviendra producteur indépendant et créera sa propre compagnie, Les Films Michel Audy Ltée — laquelle sera dissoute en 1997. À son premier long métrage, La Marée, sorti en 1967, succèderont des œuvres de différents types et genres : films corporatifs et films pour enfants ; documentaires ethnologiques, historiques et biographiques ; documentaires sur l’art, la marine marchande et les fermiers de Saint-Boniface. En 1986, le bureau régional de Télé-Québec à Trois-Rivières ayant accepté le projet soumis par l’historien et politicien Denis Vaugeois, Michel Audy réalisera « six émissions sur le thème de la diversité du peuplement. […] La série fut nommée L’étoffe d’un pays par moquerie envers
    l’expression “pure laine” 5. »

    C’est cette même diversité que manifeste Michel Audy dans ses films à thématique homosexuelle concernant la situation des jeunes : « Sa passion, note Tom Waugh, sa ténacité et son talent
    indéniable lui assurent une place importante dans l’histoire de notre lutte 6. » Dès 1969, Jean-François Xavier de… est le premier long métrage de fiction à montrer des garçons nus de face 7. « Il témoigne, précise le réalisateur, de la libération de l’Homme en face du sexe, de la femme et de la mort pour en arriver à être enfin soi-même 8. » Suivent Corps et Âmes (1972) qui, sous forme de documentaire, évoque de façon émouvante une histoire d’amour par le survivant d’un couple d’hommes, et La Maison qui empêche de voir la ville où se tisse un lien entre un jeune homme et un professeur. Après un temps d’arrêt, il revient avec Luc ou la Part des choses, produit par le collège de Trois-Rivières et le ministère de l’Éducation du Québec. « Moto, musique et solitude, écrit Charles-Henri Ramond, voilà ce qui caractérise Luc, 18 ans. À la place de continuer ses études, il se trouve un travail dans un garage. Mais, peu après, il découvre qu’il est homosexuel. Il fait une tentative de suicide… 9 » Heureusement, « il reprend goût à la vie grâce à l’influence d’un ami d’enfance avec lequel il fait le projet d’un voyage en bateau 10. » Crever à 20 ans fait sa première sortie publique au Festival du nouveau cinéma, en 1984. Un film choc qui, pour la première fois au Québec, parle de la prostitution masculine. À l’époque, il sera refusé par toutes les chaînes de télévision — sauf TV-Ontario. On y retrouve deux jeunes chômeurs, François et Claude, en manque d’argent, mais aussi d’amitié et d’amour : « Plutôt que de nous entraîner dans un enfer affectif, le film nous montre un univers généralement tendre, peuplé de gens qui veulent se donner l’illusion qu’ils ne sont pas seuls et qui croient, serrant un jeune dans leurs bras, réchauffer leur cœur 11. » Viennent ensuite Du garage à la cabane, un documentaire-fiction sur les clients d’un bar gai, et Hurlement dans la nuit, sur le harcèlement en milieu scolaire.

    Au niveau national, rappelons que Michel Audy a reçu le Prix « Image en tête » de Radio-Canada pour Toutes les mêmes (1966) ; le Prix du ministère de l’Éducation du Québec ; le Premier prix, Patrimoine québécois et, en 1988 le Prix Gémeaux du meilleur montage d’une série documentaire. De même, dans le cadre des célébrations du 375e anniversaire de la ville de Trois-Rivières, en 2009, Ciné-Campus a présenté une soirée hommage à des artisans trifluviens du cinéma, dont Michel Audy — ce même Ciné-Campus qu’il avait cofondé et où il fut  projectionniste pendant douze ans. On peut voir des films de Michel Audy, dont sa Filmographie, sur : www.bing.com/videos et www.youtube.com.

    NOTES :

    1. Vincent Fortier, Les Racines secondaires, Del Busso éditeur, 2022, p. 156.
    2. Extrait du DVD « Michel Audy – Récompenses et distinctions » (2009) : https://www.youtube.com/watch?v=XDVIISFqvoc. Consulté le 18 novembre 2022.
    3. Marie-Ève Bourgoing-Alarie, « Le cinéaste Michel Audy se confie »,
      L’Hebdo journal, 20 octobre 2010.
    4. Extrait de « Michel Audy – Biographie » : https://www.youtube.com/watch?v=aQ0sXVIINtE. Consulté le 18 novembre 2022. 
    5. Denis Vaugeois, « La nation métissée », revue Liberté, no 304, été 2014, p. 41.
    6. Tom Waugh : http://collections.cinematheque.qc.ca/articles/negres-blancs-tapettes-et-butch-leslesbiennes-et-les-gais-dans-le-cinema-quebecois/ Consulté le 15 novembre 2022.
    7. Comme le fait, la même année, Gilles Groulx dans Entre tu et vous.
    8. Michel Audy, « D’où vient “Jean-François-Xavier de…”, in Jean Pierre Lefebvre,
      L’Office National du Film du Canada présente “Premières œuvres” : https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww3.nfb.ca%2Fsg%2F2296.pdf%2Findex.html#federation=archive.wikiwix.com&tab=url. Consulté le 15 novembre 2022.
    9. Charles-Henri Ramond, « Luc ou la part des choses – Film de Michel Audy », 2009 : https://www.filmsquebec.com/films/luc-ou-la-part-des-choses-michel-audy. Consulté le 17 novembre 2022.
    10. https://www.elephantcinema.quebec/films/luc-ou-la-part-des-choses_29523.
      Consulté le 17 novembre 2022.
    11. https://fr.wikipedia.org/wiki/Crever_%C3%A0_20_ans. Consulté le 17 novembre 2022. 

    Du même auteur

    SUR LE MÊME SUJET

    LAISSER UN COMMENTAIRE

    S'il vous plaît entrez votre commentaire!
    S'il vous plaît entrez votre nom ici

    Publicité

    Actualités

    Les plus consultés cette semaine

    Publicité