Jeudi, 3 octobre 2024
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    «T’es clean?» la sérophobie qui s’immisce encore aujourd’hui, plus de 40 ans après le début de la pandémie

    Malgré la révolution traitement comme prévention (TasP), le poids de la malinformation et des représentations autour du VIH continue de peser lourdement sur la vie des personnes qui vivent avec le VIH, même quand celui-ci est indétectable et donc intransmissible.

    « Oh ça va, je peux boire dans ton verre, t’as pas le sida, lol ». Combien de fois avons-nous entendu cette blague de mauvais goût héritée du pire des années 90? Si cet humour pourri exprime la persistance d’idées reçues autour du VIH/SIDA, elle est aussi la partie émergée de la sérophobie bien ancrée dans l’espace public. Une somme de discriminations, de comportements de rejet et de violences à laquelle les personnes vivant avec le VIH sont confrontées dans leur quotidien même le plus intime.
     
    C’est particulièrement dans la vie affective et sexuelle que s’infiltre cette sérophobie. À commencer, notamment pour les hommes gais, par les applications de rencontres. Pierre 45 ans, raconte: « Il y a quelques années, sur Grindr ou Scruff, j’indiquais mon statut sérologique par honnêteté et de manière à régler directement la question du VIH ». Ce qui n’évitait pas certains désagréments. « La plupart des gars ne lise pas vraiment le profil ou très rapidement, ce qui fait que souvent, j’avais le droit à la question détestable “t’es clean?” comme si le fait d’être positif mais indétectable faisait de moi quelqu’un de sale… Ensuite, beaucoup de ceux qui avaient lu mon profil après m’avoir woofé ou liké finissaient par me bloquer ou me dire des choses comme “ah, t’es pas clean, non merci ou plus intéressé ».

    De son côté, Liam, 34 ans, militant, a remarqué des changements lorsqu’il a commencé à indiquer son statut sérologique. «Je voyage souvent et c’est souvent l’occasion de faire des rencontres. En général, quand tu débarques dans une ville, tu es très sollicité sur les app tu es LA nouveauté. Seulement, à partir du moment où j’ai indiqué mon statut, j’ai fait le constat d’une sérophobie discrète mais néanmoins présente : je recevais beaucoup moins de messages, voire pas de message du tout.» Cette hostilité latente est une des raisons qui ont poussé Liam à délaisser les apps et à privilégier la fréquentation des saunas, des bars, des pars et autres lieux de consommation sexuelle où il y a moins de discussions préalables. 

    Aujourd’hui, un certain nombre de personnes positives et indétectacles, qui font le choix d’utiliser des applis de rencontres, mettent en place des stratégies afin de régler la question de la protection contre le VIH sans pour autant se dévoiler. Beaucoup préfèrent désormais indiquer qu’ils sont sous PrEP, comme la TasP et la PreP ont le même résultat, soit qu’il n’y ait pas de transmission. Et, une fois le premier moment d’intimité passé, « si l’envie de se revoir est là, le souci d’honnêteté peut exposer parfois à des réactions qui vont du ghosting (se faire ignorer) jusqu’aux violences verbales ou physiques.

    Il y a des personnes qui se quittent et claquent la porte, d’autres qui ne décrocheront plus leur téléphone », témoigne Chris, 48 ans, qui a lui choisi de toujours parler ouvertement de sa réalité à ses partenaires. Comment interpréter la violence de ces réactions alors que le sentiment de peur et de rejet n’aurait pas lieu d’être, puisque que les personnes positives sous traitement ne transmettent pas le virus? D’abord par un manque criant d’information et la persistance de croyances erronées vis à vis du VIH: seulement la moitié des personnes estimeraient qu’il existe un traitement pour empêcher de transmettre le virus chez les personnes séropositives – et ignorent ou ne veulent pas croire à l’efficacité de la TasP et à la notion de «Indétectable = Intransmissible» (I=I). Quand bien même les gens ont entendu parler de ce «I=I», certains restent méfiants ou doutent de sa véracité.

    Mais l’ignorance ou la méfiance n’explique pas tout. Cette stigmatisation est également très liée à la persistance de représentations culturelles extrêmement fortes. Pour certaines personnes, être séropositif signifie que tu as fait n’importe quoi, que tu ne t’es pas protégé, que tu es une «pute». Le slut shaming n’est en effet jamais loin et il peut aussi, selon les cas, être parfois teinté de lgbtphobie ou de racisme. Et la sérophobie ne s’infiltre pas uniquement dans le domaine de la vie affective et sexuelle. Elle se répand également au sein de la famille et du cercle d’amis: « L’annonce de ma séropositivité a effectué un tri naturel », témoigne ainsi Chris.
     
    Face à tout cela, les personnes concernées encaissent, mais à quel prix? Celui, souvent, de leur santé mentale. D’abord parce que nombreux sont ceux qui intériorisent cette sérophobie. « On se vit un peu comme celui qui l’aurait bien cherché. L’incessante crainte d’être rejeté peut réveiller un sentiment d’insécurité personnelle et a un impact considérable sur l’estime de soi et la relation aux autres », témoigne Liam. Ensuite parce qu’il s’agit de faire face à un dilemme: dire ou ne pas dire sa séropositivité? Certains dépensent une énergie considérable pour cacher leur statut. Or, vivre dans le secret est une charge mentale immense potentiellement très nocive pour la santé physique et psychologique. Mais, dans le même temps, si révéler son statut soulage et permet d’obtenir du soutien, c’est aussi le risque de s’exposer à des discriminations. Assurément, tout le monde ne vit pas dans un environnement favorable pour le dire. Ainsi, si Chris considère la révélation de sa séropositivité comme un second coming out libérateur, il est conscient aussi que « c’est une charge mentale de dire son statut. Car à partir du moment où tu en parle, on est obligé constamment d’expliquer, d’accompagner la personne en face dans sa compréhension du VIH, d’informer… quitte à s’exposer à répétition à du rejet ».
     
    Qu’ils soient dans le placard de la séropositivité ou non (dans leurs rapports affectifs ou leur recherche d’une baise), certains parviennent à trouver un équilibre, mais comme groupe les personnes vivant avec le VIH continuent aujourd’hui encore de compter parmi les plus exposées au risque de dépression et d’addiction. C’est une des raisons pour lesquelles nous devons tou·te·s avoir conscience de cette sérophobie, en faire un enjeu communautaire et participer à l’information autour du VIH.

    Nous avons changé les prénoms, à la demande des 3 personnes interviewées.

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