Vendredi, 17 janvier 2025
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    Des hétéros blessants et ignorants… par inconscience?

    Au Québec, la plupart des hétéros se disent ouverts, tolérants et débordants d’acceptation face à la diversité sexuelle et à la pluralité de genres. Toutefois, nombre d’entre eux possèdent une compréhension limitée des réalités LGBTQ+ et un sens critique maladroit, voire offensant, quand il est question de la communauté arc-en-ciel. La raison est aussi simple que triste : ils sont inconscients de leur propre ignorance.

    Plusieurs membres de cette majorité (heureusement pas tout le monde) ont du mal à comprendre le vécu de notre minorité dans toutes ses subtilités. Ne se sachant pas à côté de la plaque, ils ne se remettent pas en doute et ils perpétuent des idées et comportements inappropriés. De l’extérieur, on peut avoir l’impression que toutes les batailles pour les droits des personnes LGBTQ+ ont été gagnées et que la communauté occupe un espace serein dans la société. Pourtant, c’est faux. En plus des luttes qui se poursuivent pour les personnes trans, la reconnaissance des personnes non binaires, l’existence des personnes rassemblées dans le «+» de la communauté (bispirituel.le.s, asexuel.le.s, pansexuel.le.s, demisexuel.le.s, etc.) ET l’extrême fragilité des droits acquis au cours des dernières décennies, il reste un travail de fond à réaliser pour nuancer les mentalités.

    Afin d’illustrer mon propos, permettez-moi de raconter une anecdote remplie de détails révélateurs. En février 2021, j’ai publié un reportage dans La Presse sur les injustices que subissent les comédiens homosexuels à la télévision. Encore de nos jours, plusieurs d’entre eux restent dans le placard et travestissent leur attitude en auditions (même quand ils ne sont pas en train de jouer leur personnage) dans l’espoir que les décideurs aient le moins possible d’indice à propos de leur orientation sexuelle. Pourquoi? Parce que les préjugés et les biais inconscients des employeurs les associent trop souvent à une représentation moins traditionnelle de la masculinité, donc à une incapacité de jouer des personnages hétéros. En contrepartie, certains comédiens homosexuels ont envie de montrer leur polyvalence en jouant autant des gais que des hétéros, mais ils se buttent à l’incapacité des décideurs de percevoir leur crédibilité dans un rôle de straight. Dans l’article, il était aussi question des rôles de gais offerts à des acteurs hétérosexuels, tandis que les acteurs homos sont rarement envisagés pour les personnages d’hétéros.

    Le texte a fait beaucoup réagir. Pour éviter de voir leur vision du monde troublée et pour étouffer le fait que la majorité des acteurs issus de la diversité sexuelle subissent de la discrimination, plusieurs personnes ont énuméré sur les médias sociaux les exceptions d’acteurs et d’actrices ouvertement queer qui ont joué des hétéros. Ce n’est pas surprenant : nos cerveaux refusent parfois les informations qui risqueraient de modifier nos perspectives. D’autres lecteurs et lectrices se sont limité.e.s à croire que les comédiens gais non-retenus n’avaient tout simplement pas impressionné les décideurs dans leurs auditions pour des rôles d’hétéros, balayant sous le tapis des décennies de discrimination observable dans le milieu de la télévision. Puis certains commentateurs du dimanche sont montés aux barricades en affirmant que les rôles de gais ne devraient jamais être réservés aux acteurs gais et que tout le monde devrait pouvoir tout jouer. Ironiquement, cette idée reprenait EXACTEMENT celle des intervenants de l’article. Aucun des comédiens gais interviewés ne réclamait que les personnages gais deviennent leur chasse gardée.

    Ils témoignaient seulement du fait que si les rôles hétéros leur étaient presque toujours inaccessibles, ce serait sympa qu’on pense au moins à eux pour jouer des gais. Étrangement, il y a pire. Parmi les centaines de commentaires qui se sont retrouvés sur les médias sociaux, beaucoup d’internautes ont affirmé que l’article leur avait ouvert les yeux et qu’ils soutenaient la démarche des comédiens gais à propos des injustices et des incongruités dans le milieu de la télé. Pourtant, parmi les auteurs et les autrices de ces messages d’appui, plusieurs ont complètement changé leur capot de bord à peine quelques mois plus tard. Lorsque le sujet des comédiens gais et des rôles gais à la télévision québécoise revenait dans la conversation, ils et elles se campaient dans la position inverse, en brandissant l’argument voulant que «tout le monde devrait pouvoir tout jouer», alors que – je le rappelle – les comédiens gais qui sont allés au front avaient tous affirmé LA MÊME CHOSE.

    Ce soutien inconstant est consternant. Cette régression des mentalités est décourageante. L’impression que toutes les batailles ont été gagnées est contreproductive. Il reste encore des millions de nuances à implanter dans l’esprit des gens. Pour ce faire, il faut expliquer, répéter, être patient, recommencer, reformuler. Ne pas se braquer. Ne pas croire que les gens peu éduqués sur ces questions n’ont qu’à ouvrir un livre, visionner un documentaire, écouter une baladodiffusion ou lire un article sur des thématiques queer pour rattraper leur retard. L’ouverture sincère passe par l’échange humain, réel et tangible, afin d’ouvrir la voie à un engagement émotif. Même épuisés, on n’a pas le droit d’abandonner. On peut prendre des pauses. Choisir nos batailles. Mais pas abdiquer. C’est notre rôle d’éduquer. Comme le disait Michelle Obama : «When they go low, we go high».

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