Depuis la sortie de son premier album solo, Boulette Proof, en 2020, Calamine attire le succès. Celle qui se taille une place à la finale des Francouvertes en 2021 reçoit, la même année, le prix Félix-Leclerc, en plus d’être nommée Révélation Radio-Canada 2021-2022. Si elle s’illustre par la suite sur la scène des Francos de Montréal, elle en fera de même sur la scène de Fierté Montréal lors du spectacle FéminiX. Rencontre avec une rappeuse de 30 ans qui a les mots pour soulager vos maux.
Si Calamine se réclame de l’anticapitalisme, son nom d’artiste — qui se réfère par définition à la crème pour calmer les démangeaisons — a ce petit quelque chose qui vise à soulager les irritations mineures dues aux piqures du capitalisme : « Franchement, il y a un peu de ça ! », explique l’artiste qui souffrait jadis d’eczéma et avait alors nommé Calamine son ex-band de blues avec sa copine, en quelque sorte à la blague. « En arrivant dans le rap, cette idée de soulager l’irritation prendra tout son sens », explique-t-elle. D’ailleurs, en tant qu’anticapitaliste, il n’est pas aisé d’évoluer dans le milieu de la musique, où tout est basé sur l’économie du succès : « C’est pas évident et d’autant plus difficile, car on essaie de rester le plus indépendant, justement pour avoir le moins possible de personnes dans l’équipe qui pensent comme ça. C’est dur d’y évoluer, car on se fait toujours demander pourquoi on n’a pas une personne qui fait son PR, ses réseaux, sa promo pour avoir les rouages d’une grosse machine bien huilée… Et justement, pour moi, la décroissance va jusque dans la pratique artistique. » Cette résistance de Calamine est d’autant plus louable, puisque l’artiste a eu du succès dans les dernières années.
Sorti cet été, son second album intitulé Lesbienne woke sur l’autotune, se veut une sorte de « manifeste frondeur de la lesbiennitude », explique l’artiste. « Il y a cette idée de vouloir se revendiquer de certaines étiquettes, un peu à la blague. » Il n’y a qu’à regarder les titres des chansons de l’album, de la chanson titre à Officielle gouine en passant par Amazone, Bad B*(U)TCH II . « On s’est amusé. Je me suis dit : tout d’un coup que je ne fais plus d’autres albums, je vais au moins faire une couple de chansons de lesbiennes, que j’aurais voulu qui existent quand j’étais jeune. Des tounes pour que les petites ados lesbiennes soient YEAHHHH ! ». Si la performance de Calamine à Fierté Montréal promet déjà d’être électrisante et de faire chanter la foule (de lesbiennes), écrire ce mot comme titre d’album et de chanson est un acte courageux. « C’est franchement un plaisir malin que j’ai d’envoyer la patate chaude ! Par exemple, dans les radios où ils doivent annoncer les titres de chansons », s’amuse Calamine des petits malaises générés. Si le mot « lesbienne » génère encore un malaise, il en est de même pour la présence des femmes LGBTQ+, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la communauté, qui ne sont pas aussi visibles que leurs homologues masculins : « Le patriarcat s’applique à toutes les sphères. Comme toute institution, dans les quartiers gais par exemple, même si ça part d’une bonne intention, statistiquement le financement va en général plus à des hommes blancs.
Comme dans tous les domaines, il faut continuer de lutter pour avoir plus de représentations diversifiées ». D’ailleurs, au sein même de son genre musical, Calamine n’a pas choisi le chemin facile. Dans l’inconscient collectif, rap et lesbiennes ne font pas bon ménage et on ne va pas se le cacher, le monde du rap n’est pas connu pour son ouverture légendaire aux femmes LGBTQ+, mais plutôt pour sa misogynie. « J’étais comme la première à être fru ! Ç’a été ma motivation, ça m’a quasiment donné le goût de mettre les bouchées doubles ; si y’a une place où j’aurais une satisfaction à être visible, c’est bien dans le rap ! J’adore le rap. C’est un médium qui me fascine. Le travail des mots c’est pour moi un artisanat extraordinaire ». D’ailleurs, dans sa chanson Mona Lise, l’artiste n’hésite pas à déconstruire les clichés et stéréotypes associés au milieu du rap. Le texte est vrai, parfois cru, drôle, où elle y dénonce ce boys club, au sein d’un superbe vidéoclip réalisé par Audrey Nantel-Gagnon. « Je me suis dit : y’a pas 56 façons de faire, va falloir qu’il y ait une fille qui fasse du rap pis qui fasse des albums pis qui aille sur le stage ! », explique celle qui revient du festival Metro, Metro où elle était la seule fille de la programmation de la journée : « Encore en 2022, ça se peut ! » Cela étant dit, sur la scène de FéminiX, Calamine sera, entre autres, accompagnée des Sarahmée et Ariane Moffatt. « Toutes les occasions de visibilité sont extrêmement importantes et on en est encore à chercher la place des femmes dans les gros festivals. C’est sûr qu’un festival qui cible les diversités sexuelles, c’est important, car cette priorité n’est pas nécessairement dans les autres festivals », explique celle qui l’an dernier avait assisté à son propre concert, puisque FéminiX avait été préenregistré. « Performer à Fierté Montréal, c’est aussi un cadeau. En tant qu’artiste de la diversité, se présenter devant une foule qui vient pour célébrer ma différence, c’est un échange possible. Je fais aussi ça pour les personnes qui seront là, en disant : célébrons ce que nous sommes ! Je sais qu’[elles] comprendront ce que je dis ! Ça fait vraiment de beaux moments à partager qui sont importants à préserver ! »
INFOS | L’album Lesbienne woke sur l’autotune est disponible depuis le 8 juillet. Calamine sera du spectacle FéminiX le 6 août sur la scène du Casino de Montréal à l’Esplanade du Parc olympique / www.fiertemtl.com