Ira Sachs n’a pas son pareil pour évoquer des histoires d’amour entre hommes, abordant avec tact leur difficulté parfois à durer dans le temps pour différentes raisons. Après l’usure du couple dans Keep the Lights On et la séparation forcée d’un couple d’hommes retraités, à cause de la maladie, dans Love Is Strange, le voici qui s’intéresse, avec Passages, à une relation toxique au sein de laquelle Franz Rogowski, Ben Whishaw et Adèle Exarchopoulos forment un trio amoureux intense.
Dès son premier long métrage, The Delta (1996), le réalisateur Ira Sachs suivait l’errance nocturne d’un homme insouciant issu de famille aisée, partageant sa vie entre sa petite amie et ses aventures avec des hommes issus de l’immigration et cueillis sur l’autoroute.
Dans Passages, il met en scène un réalisateur de films, Tomas, un jeune homme qui sait ce qu’il veut et comment le filmer. Mais dans sa vie privée, c’est autre chose. Perdu quant à sa relation avec son mari Martin qu’il ne comprend plus, Tomas est perplexe relativement à la façon de réinventer cette relation. Électron qui se croit libre, il papillonne, dirige son monde, veut que tous et toutes s’invitent dans sa danse. Jusqu’à l’arrivée d’Agathe, une institutrice qui vient de larguer son copain. Au détour d’une danse qu’Agathe lui propose, et face au refus de Martin, Tomas se laisse séduire et tombe sous le charme de cette jeune femme. Pour Tomas, la nouveauté d’être avec une femme est une expérience excitante qu’il est impatient d’explorer, malgré son mariage avec Martin. Mais lorsque ce dernier entame sa propre liaison de son côté, Tomas recentre son attention sur son mari.
Figure de l’amoureux égoïste recherchant le consentement des proches, à qui il ne cesse de faire du mal, entre ses velléités artistiques et ses petites manipulations grossières, Tomas est à la fois détestable et attachant. Avec une approche contemporaine, Sachs pose un regard sec et lucide, avec un juste équilibre entre empathie et distance, et rend les silences pesants et chargés d’une tension amoureuse et psychologique palpable.
L’acteur allemand Franz Rogowski incarne avec désinvolture le personnage de Tomas, qui ménage aussi peu ses acteurs que son entourage. L’excellent Ben Whishaw joue le gars sensible, dont la révolte n’est jamais à la hauteur des outrages subis. Et Adèle Exarchopoulos est celle qui pourrait « disparaitre » entre les deux hommes face à ce qui les unit en dépit de tout. S’ajoute à ce trio le remarquable Erwan Kepoa Falé, en écrivain que le réalisateur exècre, sans doute parce qu’il ferait un sérieux rival.
Dans ce film, qui parle des actions et des conséquences, les hommes sont un peu comme des boules de billard qui se cognent les unes contre les autres, sans la moindre attention ni la moindre conscience. Parfois, les personnages agissent même en sachant qu’ils font peut-être du mal, mais ils le font quand même juste parce qu’ils veulent quelque chose.
Ira Sachs sait filmer les crises et les séparations, notamment lorsque Martin fait machine arrière et se détourne d’un nouvel amour de toute évidence plus sain. L’amour et la famille apparaissent comme des choses qui ne sont pas simples, peut-être même comme les choses les plus complexes et difficiles de la vie.
Débordant de sexe (en particulier une longue scène très bien chorégraphiée), d’honnêteté et d’humour, le film a été acclamé par la critique à Sundance en janvier dernier et a été nommé pour le meilleur long métrage à Berlin en février 2023.
INFOS | Le film Passages d’Ira Sachs sort en salles au Québec à partir du 18 aout 2023.
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Ce texte a d’abord été publié le 26 juillet 2023