Mardi, 10 septembre 2024
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    Mathieu Leroux et la littérature de l’extrême

    On ne sort pas indemne de Camouflé dans la chair (Héliotrope). Quand on découvre l’atteinte neurologique qui a plongé Mathieu Leroux dans un état de paralysie complète, avec le mouvement d’une paupière comme seul moyen de communiquer, on a du mal à trouver les mots pour exprimer le trouble qui nous envahit. Lorsqu’on le redécouvre plus tard, évadé de son corps-prison, en train de déambuler dans un sauna et libre de suivre la courbe de ses désirs, on est aussi fasciné que soulagé pour lui. Avec ce roman en deux temps, l’écrivain accède sans nul doute au cercle des rares plumes qu’on ne veut plus jamais abandonner.

    Tu es comédien, danseur, metteur en scène et écrivain. Pourquoi as-tu choisi d’écrire ce que tu as vécu?
    Mathieu Leroux : Chaque fois qu’un projet pousse, j’ai le luxe de me demander quelle forme ça devrait prendre. À la base, je ne voulais pas du tout écrire un récit sur la maladie, mais j’ai pris plein de décisions sans me rendre compte que c’est ce que j’allais faire. Par exemple, quand j’ai appris qu’on pouvait consulter nos archives médicales, j’ai appelé à l’Hôpital Notre-Dame et on m’a répondu que j’avais un excellent timing, car mon dossier allait se faire détruire dans une semaine… C’était 2500 pages de matériel! Puis, quand j’ai commencé à tourner autour du projet, plusieurs textes reliés à l’intimité, à la maladie et à la sexualité transgressive sont venus à moi, sans que je sache trop pourquoi. La pandémie est arrivée. J’ai perdu tous mes contrats. Après les premières semaines d’engourdissement, je me suis dit que j’accumulais peut-êtres toutes ces informations pour écrire ce livre.

    En racontant ta maladie de manière relativement sobre, tu mentionnes que la souffrance éprouvée n’avait pas d’équivalent langagier. Alors, ça te fait quoi de savoir qu’en dépit de tes efforts pour éviter les épanchements de sentiments, tu en provoques à la lecture?
    Mathieu Leroux : Depuis la sortie du livre, je reçois plein de messages très variés. Beaucoup de gens trouvent que c’est terrifiant et anxiogène. Des amis, après trente pages, n’en peuvent plus et doivent prendre une pause. Tant mieux! C’est rare qu’on obtienne une réaction si viscérale à la littérature. Mon but était d’accompagner les gens dans deux expériences intenses dans des huit clos un peu étranges. Ensuite, chacun.e réagit à sa façon.

    Qu’est-ce qui fait le plus réagir?
    Mathieu Leroux : Certaines personnes trouvent la partie sexuelle excessivement violente. D’autres y voient plein de beauté et de lumière. Pour moi, c’était important de ne pas être complaisant, ni avec la maladie ni avec la sexualité. Je ne suis pas un héros du sexe au corps extraordinaire qui rentre dans un sauna et qui se tape tout ce qu’il veut. Je voulais être le plus objectif possible dans les deux contextes.

    Tu expliques qu’il n’y a pas eu de grand apprentissage durant la maladie. Penses-tu avoir accepté cette idée plus rapidement que ton entourage?
    Mathieu Leroux : Oui, absolument. Ce trauma physique est arrivé en 2015 et je ne vois
    toujours pas de grande révélation. On me dit que je dois vraiment savourer la vie depuis, mais je la savourais déjà avant. Après avoir été un adolescent sombre, tourmenté et qui a fait des tentatives de suicide, j’ai fait le choix de la lumière à 17-18 ans, en décidant de savourer la vie comme un citron et de la presser au maximum. J’avais déjà ça en moi, tout jeune. Donc, en tombant malade à la mi-trentaine, j’ai peut-être réalisé à quel point la vie est fragile, mais je suis sensiblement la même personne après. Plusieurs personnes ont été témoins de cette déchéance et de ma lente reconstruction. Pour elles, il faut que ça ait servi à quelque chose. Mais non… Parfois, la vie n’a aucun sens.

    Quelle forme as-tu voulu donner à ce roman?
    Mathieu Leroux : Je souhaite qu’on sente que c’est le même personnage avec quelques mois de décalage, mais que la caméra qui l’observe est un peu la même. J’ai fait le pari de suivre cette personne dans ces deux lieux avec une certaine unité de ton et de style. Je travaillais avec une charte de vocabulaire qui revient. Sans souligner en gras que c’est la même chose, ça se répond en miroir. Je voulais aussi que ça devienne clair par des phrasés et des éléments de mise en page qu’il y a une espèce de bouton reset un peu étrange qui s’opère et qu’on recommence le voyage dans un tout autre lieu et avec un tout autre état mental.

    Après l’hôpital, tu nous amènes dans un sauna. Pourquoi voulais-tu démocratiser le plaisir charnel?
    Mathieu Leroux : Plus jeune, je jugeais le geste d’aller au sauna. Ma perspective a changé quand je l’ai expérimenté dans la trentaine. J’ai réalisé que c’était une sexualité avec laquelle j’étais très confortable. Quand tu rentres dans ce lieu, qui est tabou pour plusieurs personnes, ça vient avec tout un historique. L’endroit est chargé d’une mémoire de tous ces corps qui ont joui à l’intérieur. Je trouvais ça important de l’honorer et de citer plusieurs personnes qui ont réfléchi sur le sujet. D’ailleurs, un étudiant m’a dit que les citations semblaient m’aider à justifier la transgression aux yeux des personnes qui ne fréquentent pas les saunas. Je pense que oui, inconsciemment.

    Tu dis aussi vouloir désacraliser le concept d’un corps sain et modéré.
    Mathieu Leroux : Oui. En société, il y a encore l’idée de la bonne et de la mauvaise homosexualité; les saunas appartiennent évidemment à la mauvaise. On pense parfois que tout est accepté socialement, mais non. Je crois que l’homosexualité qui passe bien auprès du grand public est celle de Neil Patrick Harris : un homme marié, avec des enfants, beige, beau bonhomme, en santé, qui n’a pas l’air d’un homme sexué et qui ne revendique pas grand-chose. Il n’est pas confrontant du tout. Mais aussitôt qu’on rentre dans des corps sexués, on veut moins en entendre parler. Encore moins dans une sexualité en public, transgressive et collective. Bref, je désirais honorer cette homosexualité qui n’entre pas dans la norme. Je n’ai plus de gêne à ce qu’elle fasse partie de ma vie, tout en étant en couple depuis cinq ans avec quelqu’un de fantastique, qui ne fréquente pas ce type de lieux. Tout n’est pas noir et blanc.

    INFOS | Camouflé dans la chair, de Mathieu Leroux, Héliotrope, 2023.

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