C’est une tradition dorénavant bien établie que l’été soit conjugué avec les célébrations de la Fierté gaie. Ce ne fut pourtant pas toujours le cas et la volonté de mettre en place un tel événement au Québec s’est faite au rythme de nombreux jeux d’essais et d’erreurs.
À la suite des émeutes de Stonewall survenues à New York du 27 au 28 juin 1969, le projet d’organiser un défilé pour commémorer l’événement se met en branle aux États-Unis. C’est le samedi 27 juin 1970 que la première Fierté gaie voit ainsi le jour à Chicago, puis à San Francisco et le lendemain, à New York et Los Angeles.
À l’époque, l’événement est connu sous le nom de Christopher Street Liberation Day puisque le bar où s’est allumé le baril de poudre de la révolte, le Stonewall Inn, était situé sur une artère portant ce nom. Plusieurs autres formes suivent ensuite — plus particulièrement Gay Libération et Gay Freedom — jusqu’à ce que Gay Pride, traduite par Fierté gaie en français, s’impose finalement dans les années 80.
Au Québec, dès 1970, les grands quotidiens — La Presse, La Tribune, Le Soleil, Le Droit, La Voix de l’Est et Montréal-matin — portent un regard curieux sur l’événement. Bien souvent, la mention se limite toutefois à une simple photographie ou à un entrefilet qui mentionne le défilé, sous le couvert d’une rubrique de type « curiosité » : « Le droit des homosexuels : 20 000 manifestants marchent dans New York » (Montréal-matin, 29 juin 1970).
Il faut cependant attendre la fin des années 70 pour qu’un événement semblable se déroule au Québec. C’est ainsi qu’en juillet 1979, Le Berdache annonce en grande pompe la tenue de la Gairilla, nom alors donné aux célébrations montréalaises de la Fierté (« La semaine de la Gairilla », Le Berdache, juillet 1979). Des slogans rassembleurs sont même associés à certains défilés : « Sortons ensemble ! » constitue ainsi le cri d’appel de l’édition de la Gairilla de 1980 (« Sortons ensemble ! : marche de fierté gaie et lesbienne : 21 juin 1980 », Le Berdache, juin 1980).
Cette appellation ne marquera cependant pas l’imaginaire populaire puisque dès 1981, on retrouve le Gai-e-lon-la (« Communiqué III : la Gai-e-lon-la … au carré Dominion », Le Berdache, juin 1981), qui combine Fierté gaie et célébrations de la fête nationale du Québec. Les organisateurs tentent ainsi de concilier la période de célébration américaine de la Fierté gaie, à la fin juin, avec le calendrier très chargé des fêtes nationales du Québec (le 24 juin) et du Canada (le 1er juillet).
Malgré la volonté des organisateurs, l’événement ne perdure cependant pas et une marche du désert débute, qui ne prendra fin qu’en 1993. Dans l’intervalle, il n’y a cependant pas absence complète de célébration puisque les associations universitaires LGBT prennent le relais pour organiser des manifestations gaies sur leurs campus respectifs. C’est le cas de l’Université de Montréal en 1981 (« Un kiosque gai à l’Université », Le Berdache, novembre 1981), de l’Université Laval en 1982 (« La semaine gaie à l’Université Laval », Le Berdache, mai 1982) et des universités Concordia et McGill en 1983 (« Semaine de visibilité gaie et lesbienne, McGill et Concordia », Sortie, décembre 1983).
Ces événements prennent, jusqu’à un certain point, le relais du vide laissé par la disparition d’un événement public rassembleur. Dès janvier 1985, les différentes universités québécoises se concertent même pour organiser, à travers tous les campus, une semaine d’activités : « Semaine des gais et lesbiennes » (Le Petit Berdache, janvier 1985); « Semaine nationale gaie 86 : se connaître, se reconnaître » (Le Petit Berdache, janvier 1986). Parallèlement à cela, dans le Village, de petits défilés ont lieu sur la rue Saimte-Catherine, organisés par les commerçants. Fugues participera d’ailleurs à la plupart de ces défilés qui attiraient entre 500 et 1000 personnes, durant le weekend le plus près de la Saint-Jean Baptiste.
C’est en 1993, sous l’impulsion de Puelo Deir et de Suzanne Girard, qu’une nouvelle itération — Divers/Cité — remet la fierté gaie à l’avant-scène et s’impose rapidement comme un événement majeur (« Divers/Cité : une célébration de la fierté », juillet 1994 ; « La fierté à un nom… Divers/Cité », juillet 1995). Dès le départ, et afin de se distancier des fêtes nationales, la tenue de la Fierté montréalaise se déplace du mois de juin à la fin juillet (« Divers/Cité : du 28 au 31 juillet », août 1994) puis au début août. À partir de 2007,
l’organisation des festivités sera ensuite prise en charge par l’organisme Fierté Montréal.
Dès la seconde moitié des années 90, on assiste également à la mise en place progressive de festivités dans diverses autres régions, avec la Ville de Québec en tête de lice, qui lui donne le titre de fête Arc-en-ciel. On s’assure cependant de ne pas se cannibaliser l’un et l’autre, en optant pour des célébrations en septembre : « Une première à Québec : la fête Arc-en-ciel » (septembre 1996). Même son de cloche du côté d’Ottawa-Hull : « Foule record au défilé de la fierté d’Ottawa-Hull » (août 1996), ainsi que d’autres régions du Québec : « La fierté gaie sur la Côte-Nord » (juillet 2000).
Très rapidement, la Fierté gaie montréalaise gagne les faveurs du public et passe du statut quasi confidentiel de sa première édition, en 1993, à l’événement majeur qu’on lui connaît maintenant, qui inclut un vaste volet culturel et génère des revenus touristiques importants : « Fierté gaie et lesbienne : plus de 400 000 personnes sont attendues » (juillet 1998); « Tourisme gai : des retombées économiques de 40 millions de dollars pour les fêtes de Divers/Cité » (janvier 2001) ; « Les célébrations de la fierté : tout ce qu’il faut savoir pour ne rien manquer de Divers/Cité » (août 2000).
Alors que les personnalités publiques y étaient tout d’abord assez rares, la popularité de l’événement en fait bientôt une destination où il fait bon d’être vu : « Divers/Cité — Les personnalités publiques au défilé : ils étaient là » (septembre 1999). Graduellement, certains groupes historiquement plus réfractaires aux réalités LGBTQ se joignent également à l’événement : « Policiers et pompiers gais : une sortie officielle » (août 1999). C’est d’ailleurs l’occasion pour plusieurs regroupements et associations de faire la promotion de leurs activités respectives lors des Journées communautaires : « Divers/Cité — Le village communautaire : une vitrine pour les groupes » (septembre 1999).
Et, à l’instar des touristes qui visitent la Belle Province (« Tourisme gai : Montréal, ville ouverte ! », juillet 1999), les Québécois.e.s se font également un plaisir de combiner tourisme et célébration de la Fierté dans leurs choix de vacances à l’étranger : « Célébration de la fierté [à travers le monde] » (juillet 1995) ; « Gay Paris : Europride 97 — Eurosalon — Eurogames » (juin 1997) ; « Les marches de la fierté gaie et lesbienne à travers le monde » (juillet 1998).
Ailleurs dans l’actualité de juillet
En juillet 1869, le Evening Star signale l’arrestation d’hommes surpris en pleine drague (« Juvenile morality », 2 juillet, p. 2) et célèbre même une raclée « bien méritée » à l’encontre de l’un d’eux (« Served him right », 17 juillet, p. 2) dans ce qui était alors un haut lieu de la drague montréalaise : le Champ-de-Mars.
Le 29 juillet 1886, La Presse relate tous les détails de l’arrestation d’une femme qui s’est révélée être un homme (« Un homme-femme ») qui, pour ce crime « atroce », fut condamné à 5 $ d’amende (soit, environ 150 $ de 2024) ou un mois de prison. Le Montréal qui chante de juillet 1916 nous présente une photo de la chanteuse parisienne Flavy D’Orange, ainsi que la partition « Dites-moi si vous avez un cœur? » interprétée alors que, comme elle a l’habitude, elle personnifie un homme sur scène.
Toujours fidèle à sa tradition d’intolérance, le Ici Montréal du 21 juillet 1962 se rengorge : « Laveur de planchers, Leduc avait un faible pour les petits messieurs : il écope de deux ans de bagne, où il pourra exercer son métier ». De son côté, le Flirt & Potins du 12 juillet 1969 rappelle que « L’amour paternel est lié à l’homosexualité chez la femme ». Le 18 juillet 1970, il présente l’angoissant fait vécu de la semaine : « Je suis un homme d’affaires marié et j’adore porter des dessous féminins en soie et en dentelles ».
Dans un tout autre registre, le 25 juillet 1981, Le Lundi présente un article relativement étonnant pour l’époque sur la relation de couple de Claude Lavallée et Maurice Lecault : « Claude et Maurice : le premier anniversaire d’un mariage “gai” ».
Les journaux La Presse, La Tribune, Le Soleil, Le Droit, La Voix de l’Est et Montréal-matin sont disponibles sur BAnQ numérique (https://numerique.banq.qc.ca/).
Le Berdache est disponible sur le site des Archives gaies du Québec
(https://agq.qc.ca/le-berdache/).
Note : Lorsqu’une référence ne précise pas le titre du périodique associé à un article, c’est qu’il s’agit de Fugues et lorsque le mois n’est pas mentionné, c’est qu’il s’agit de juillet.