La cohorte 2024 de l’École nationale de la chanson de Granby a présenté en juin trois spectacles riches en découvertes à Waterloo, à Québec et aux Francofolies de Montréal. Parmi les 14 artistes prenant part à la tournée de fin d’année de l’école de musique, on comptait Samuel Boulianne, alias Lydia Colada, toute première drag queen finissante de l’établissement à la renommée internationale. Portrait.
Alors qu’elle est sur le point de fouler les planches des Francos de Montréal, Lydia Colada peine à retenir ses émotions : « Je suis extrêmement fière d’avoir l’occasion de performer sur une scène aussi prestigieuse, confie-t-elle. Fière pour moi, mais aussi fière pour le Samuel que j’ai été durant toutes ces années. J’ai l’impression d’enfin me donner la permission d’être libre, et ça m’amène des confirmations tellement magiques ! »
Natif de Dolbeau-Mistassini, Samuel Boulianne est né sous une étoile artistique : « Je me suis toujours senti à ma place dans les arts, explique-t-il. C’était comme un refuge, une famille choisie, une identité qui me permettait de m’exprimer librement. »
Le jeune homme qui se dirige d’abord vers une carrière en enseignement de l’éducation physique ne considérait toutefois pas d’emblée les arts comme une avenue professionnelle envisageable, ce que ses mentors voyaient autrement : « Ma prof de musique au secondaire m’avait donné un rôle chanté dans une comédie musicale et elle m’a regardé droit dans les yeux un jour en me disant : “Toi, tu as du talent, et tu dois te mettre à y croire !” », se remémore Samuel.
De fil en aiguille, Samuel multiplie les scènes, participant notamment au festival de la chanson de Saint-Ambroise, puis il emménage dans la métropole, où il découvre une panoplie de nouvelles formes d’art, incluant le cirque, la danse et l’art de la drag. L’expatrié n’est encore toutefois pas totalement au diapason avec ce qu’il découvre : « Au début, j’ai découvert la drag et je trouvais ça éclatant, d’un point de vue de spectateur, mais je ne pensais pas que c’était pour moi en tant qu’artiste, confie-t-il. Et surtout, je ne voyais pas encore d’interprètes comme moi, qui créaient leurs propres chansons. »
Puis, il fait la rencontre décisive de Lynsey Billing, fondatrice et directrice artistique de l’Académie de danse Scream. Lynsey enseigne la danse Diva Style, incluant le voguing, le waacking, et surtout, l’art de se faire confiance et de faire ressortir la diva en soi. Le tout en talons hauts et idéalement en se donnant un nom de drag, mesdames et messieurs. Pour Samuel, l’exercice est une révélation: « J’ai vraiment appris à bouger avec Lynsey ! Elle nous incitait aussi à nous trouver un nom de drag, ça me parlait, j’ai adoré ! »
« Samuel est un humain très spécial et très talentueux, avec un cœur énorme ! J’admire sa persévérance et son acceptation de ce qu’il est et ce qu’il veut devenir, partage Lynsey Billing à propos de son élève. Je l’ai vu se développer et grandir à travers les années et je suis excessivement fière de lui. » C’est de cette façon qu’est née Lydia Colada, la « madame du Lac » qui sommeillait à l’intérieur de Samuel : « On m’avait toujours dit qu’il fallait le moins possible bouger ou avoir l’air féminin, j’ai donc appris à apprivoiser ce style et à faire vivre Lydia à l’intérieur de moi », explique-t-il.
Le désir de reconnecter avec la musique et de s’exprimer à travers sa créativité pousse par la suite le jeune artiste à s’inscrire à l’École nationale de la chanson de Granby. L’art de la drag n’est toutefois jamais bien loin dans son cœur et dans sa tête, il possède même déjà tout l’attirail requis pour donner vie à Lydia, gracieuseté de son frère : « Quand je suis arrivé à Granby, mon frère m’a dit : “Là, tu vas arrêter de parler de Lydia, et tu vas la faire pour vrai” », rigole Samuel. Puis, le déclic se produit alors que l’artiste présente un premier numéro en tant que Lydia lors d’une soirée à micro ouvert à Granby. Un enseignant, présent dans la salle, lui demande « Et si tu écrivais pour Lydia ? »
De cet épisode est née la chanson La reine, à propos du pouvoir libérateur que procure à Samuel le fait d’enfiler les talons et de donner vie à Lydia à travers la danse et le chant : « lorsque je performais en tant que moi-même, une petite voix me disait toujours de faire très attention. Mais quand c’est Lydia qui s’exprime, il n’y a aucun doute dans mon esprit », illustre-t-il. Il précise toutefois qu’artistiquement, plutôt que de servir de refuge, Lydia sert davantage de plateforme créatrice pour révéler Samuel et son plein potentiel : « L’objectif n’est pas de faire de l’ombre à Sam. Il sera toujours là comme auteur. »
À la différence des chansons de Samuel, qui sont mélancoliques, les chansons de Lydia portent sur la vulnérabilité et la flamboyance, un message qui résonne au cœur du public. En effet, après sa première prestation officielle devant public, en mars dernier, Lydia a reçu la visite du jeune Milan et de sa maman. Le jeune garçon d’à peine huit ans avait eu une révélation en voyant Lydia interpréter La reine ainsi que Tous les mêmes, de Stromae : « Je t’ai tellement aimée parce que pour la première fois, je vois quelqu’un de différent comme moi sur scène », lui confie candidement l’enfant. Le jeune Milan, qui venait de recevoir une validation inespérée de la part de Lydia, la lui avait retournée sans le savoir : « Maintenant, quand je me mets à douter, je repense à cet enfant, confie l’artiste. La semaine suivante, j’ai écrit une chanson pour ce jeune garçon prénommé Milan, qui veut parfois se faire appeler Mila. Elle a été présentée lors de mon spectacle aux Francofolies. »
La chanson née de cette rencontre teinte d’ailleurs le message que Lydia partage maintenant avec son public : « On a tous un Milan en nous ! Comme enfant, on a tous les droits, mais un jour une voix intérieure nous dit qu’on n’a plus le droit. Cette chanson est sur les droits qu’on se donne à nouveau », partage l’artiste avec émotion. Par ailleurs, selon Samuel, l’évolution de son art n’est pas indifférente à l’accueil et au soutien qu’il a lui-même reçu de la part de ses mentors, notamment à l’École nationale de Granby. En effet, il avoue qu’il avait d’abord une perception erronée de l’établissement qui a notamment servi de tremplin à d’autres artistes queers comme Jaco et Passion Poire : « Je croyais à tort qu’une école d’auteurs-compositeurs-interprètes était surtout pour les artistes folks. J’ai vite réalisé que c’était une école hyper inclusive qui permettait de laisser notre identité s’exprimer ! »
Le prochain grand saut pour Samuel et Lydia est de voler de leurs propres ailes, et de voir où la mélodie les porte. On risque toutefois de les voir à nouveau à l’œuvre assez rapidement : « Je veux continuer à construire un spectacle et commencer à enregistrer. Je suis déjà en train de m’entourer d’une équipe », révèle l’artiste. Pourrait-on voir Lydia prochainement à Fierté Montréal ? « J’adorerais ça, ce serait un plaisir énorme qu’elle y soit invitée » s’exclame Samuel du tac au tac. À suivre !