Un article publié dans le Fugues de l’an 2000 souligne un événement d’importance : « Pas facile d’être bi : 23 septembre, Journée mondiale de la bisexualité » (octobre 2000). Le rappel de la mise en place de cette journée thématique est l’occasion de se pencher sur l’évolution de la place occupée par les deux dernières lettres de l’acronyme LGBT, dans les publications gaies et lesbiennes.
La Journée de la bisexualité fut lancée en 1999, aux États-Unis, dans le but de souligner les préjugés et l’occultation qu’elle rencontrait auprès des personnes d’orientation sexuelle différente, qu’elles soient hétéros ou homos. Le 31 mars 2009, c’est dans le même esprit, toujours aux États-Unis, qu’est inaugurée la Journée internationale de visibilité transgenre.
Dans les deux cas, le constat se pose que depuis les émeutes de Stonewall de 1969, ce sont avant tout les revendications et les réalités des communautés gaies et lesbiennes qui sont mises de l’avant au détriment des autres groupes. Par ailleurs, les clichés et l’intolérance sont encore tenaces, même au sein des communautés gaies et lesbiennes. En effet, pendant longtemps, la bisexualité est surtout associée à une période d’indécision, s’affirmer homo ou demeurer dans le placard, plutôt qu’à une orientation véritable. De l’autre côté, les réalités trans sont souvent balayées sous le tapis par les groupes activistes gais et lesbiens afin de présenter des valeurs plus accessibles, donc plus hétéronormatives, au grand public.
C’est vers 1988 que l’acronyme LGBT fait son apparition, aux États-Unis, afin de mieux représenter la diversité plutôt que de tout rassembler sous une expression faussement générique comme « communautés gaies et lesbiennes » qui invisibilise l’existence des communautés bisexuelles et transidentitaires. L’expression gagne peu en peu en popularité et son utilisation se généralise au cours des années 1990 dans les publications LGBT. Du côté de la presse généraliste québécoise, c’est vers le début des années 2000 qu’on commence à y relever le terme (par exemple, « La loi du silence », Le Devoir, 4 août 2002).
Cela dit, il ne suffit pas d’utiliser un vocable inclusif pour qu’il coïncide avec une couverture véritable des réalités bisexuelles ou transidentitaires. Afin de déterminer s’il y a représentation réelle, il faut plutôt examiner le contenu des articles et non se limiter à la présence d’un acronyme. Pour ce faire, une recherche fut réalisée à travers divers magazines LGBT québécois publiés entre 1971 et 2005 et dont les articles sont indexés dans le catalogue de BAnQ : Le Tiers, Gai(e)s du Québec, Le Berdache, Le Petit Berdache, Sortie, Treize et Fugues.
Pour la bisexualité, on ne retrouve que 19 articles, dont le premier fut publié en 1972 dans Le Tiers : « Le bisexuel : perverti ou normal ? » (vol. 1, no 2). Il faut ensuite attendre janvier 1983 pour une nouvelle couverture dans la revue Sortie (« Communiquer avec les deux : échelle maison à sept degrés »), puis les années 1990 avec Fugues qui publie des critiques de livres ou de films portant sur le sujet (« Le ciel de Paris », mai 1993) ainsi que des articles de fond (« Bi : de la bisexualité masculine », janvier 1997).
Du côté de la transidentité, on retrouve 48 articles, toujours avec une prédominance des recensions de livres ou de films. Le premier article de fond semble avoir été publié en 1972, toujours dans Le Tiers : « Trois transsexuels parlent » (vol. 1, no 2). Il faut ensuite attendre le début des années 1980 pour observer de nouvelles publications sur le sujet dans Le Berdache : « Association de travestis et de transsexuels » (décembre 1980) et « Les transsexuels et la loi » (septembre 1981). Du côté de Fugues, une plus grande couverture s’amorce à partir du milieu des années 90 : « Soirée de remise des prix “Lana St-Cyr” » (juin 1996) ; « Reconnaissance des droits des transsexuels : politiquement Jackie ! » (mars 1998).
À titre de comparaison, pour la même période et les mêmes magazines, on retrouve un peu plus de 4 000 articles portant sur l’homosexualité masculine et 1 200 sur le lesbianisme. Si on combine les deux sujets et élimine les doublons, on obtient un total d’environ 4 600 articles. La différence de couverture est abyssale, puisqu’on parle d’une proportion de seulement 1,5 % d’articles couvrant les thèmes en lien avec la bisexualité ou la transidentité. Du côté de la presse grand public, le sujet, bien qu’assez rare, apparaît très tôt, mais toujours amené avec un parfum de soufre, de sensationnalisme ou de médicalisation. Pour la bisexualité, dès décembre 1930, on retrouve un article intitulé « Étude psychanalytique sur des névroses et des psychoses » dans La Revue trimestrielle canadienne. De même, Le Petit journal du 22 août 1954 publie un article sentencieux : « Le mystère des hormones : l’être normal porte des stigmates de bisexualité ». Même constat du côté des revues à potins : « Les mystères de la bisexualité » (Flirt & potins, 24 octobre 1970). On note cependant quelques surprises : « Un peu de l’autre sexe lutte en nous pour vivre » (Châtelaine, décembre 1975).
Pour la transidentité, on peut citer : « Un chapitre intéressant » (L’Opinion publique, 22 septembre 1870), au sujet d’une arrestation, ou « Vous savez, moi, je suis une femme : étrange révélation faite par un prisonnier à un garde de prison » (La Patrie, 10 janvier 1910) et « Les mésaventures d’Alice et de Bella : la police interroge deux femmes… pour découvrir que ce sont deux hommes ! » (Allô Police, 24 juillet 1960).
Dans la presse LGBT, un changement radical s’opère après 2005. En effet, une recherche sur la plateforme de Fugues, dans laquelle on retrouve près de 9 000 articles, permet d’effectuer les constats suivants pour la période débutant en 2010. On y dénombre près de 600 articles portant sur la bisexualité et un peu plus de 600 comportant des mots clés associés à la transidentité. Il faut cependant souligner que ces chiffres ne représentent pas l’intégralité des publications de la période 2010 à 2019, puisque plusieurs articles d’actualité éphémère ne furent pas conservés lors du changement de plateforme Web réalisé en 2019. Ceci dit, la différence demeure titanesque puisque pour les 34 années de la période précédente (1971 à 2005), on retrouvait seulement 19 articles sur la bisexualité et 48 sur la transidentité, soit 1,5 % du total, alors que dans les 14 années parcourues depuis 2010, chacune des catégories récolte environ 600 articles, soit 6,7 % pour chacun des groupes ou 13,4 % pour l’ensemble. Un net progrès !
Ailleurs dans l’actualité de septembre
Le 5 septembre 1970, le magazine Flirt & potins pose une question essentielle : « Souffrez-vous d’homosexualité inconsciente ? » alors que le 19 septembre 1970, il s’affole puisque « Les lesbiennes raffolent des candides adolescentes qui font de l’auto-stop ». En septembre 1982, on annonce la fin de la chronique « Lesbiennes entre nous » dans les pages du Berdache et la publication d’un nouveau magazine lesbien portant le titre Ça s’attrape !! (« Lesbiennes entre nous disparaît », Le Berdache), qui sera distribué jusqu’en février 1984.
En septembre 1980, Le Berdache consacre deux articles au plus récent épisode de l’émission de variétés Fleur de macadam où Jean-Pierre Ferland se montre particulièrement intolérant à l’endroit de deux invités de l’Association pour les droits des gai(e)s du Québec (« Une fleur de macadam… fanée », p. 6 ; « Jean-Pierre Ferland au poteau », p. 4) n’hésitant pas à les narguer sur le fait qu’ils ne pourront jamais jouir du plaisir d’avoir des enfants. Deux ans plus tard, le même magazine s’interroge : « Une peste peut-elle être gaie ? » (septembre 1982). La réponse, malheureusement, ne se fera pas attendre très longtemps et sera dévastatrice !
Finalement, pour terminer en humour, la Revue populaire de septembre 1942 (p. 29) présente une publicité, sous la forme d’un photoroman, où un père s’insurge puisque la prise du laxatif Castoria va transformer son petit garçon en efféminé ! Heureusement, sa tendre épouse lui expliquera qu’il n’a rien à craindre.
Le journal Le Devoir, L’Opinion publique, La Patrie, Le Petit journal, La Revue trimestrielle canadienne et La Revue populaire sont disponibles sur BAnQ numérique (https://numerique.banq.qc.ca/) et Le Berdache est disponible sur le site des Archives gaies du Québec (https://agq.qc.ca/le-berdache/).
Note : Lorsqu’une référence ne précise pas le titre du périodique associé à un article, c’est qu’il s’agit de Fugues et lorsque le mois n’est pas mentionné, c’est qu’il s’agit de septembre.