Vendredi, 4 octobre 2024
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    Octobre en 40 ans de Fugues, politique et musique country un même combat !

    Deux articles publiés dans un numéro d’octobre de Fugues illustrent bien certains gains que l’on tient pour acquis alors qu’ils ont constitué de petites révolutions, il y a quelques décennies à peine. En l’occurrence, être gai dans des secteurs aux codes masculins très marqués comme la politique et la chanson country !

    Quand l’arc-en-ciel dit bonjour aux montagnes
    En octobre 1994, un article de Fugues évoque un phénomène touchant la musique, qui paraît à ce point exceptionnel que l’article s’interroge même à savoir s’il ne serait pas unique :
    « [Doug Stevens :] Le seul cow-boy gai ? ».

    La question peut sembler étrange, mais force est de constater qu’elle a un fond de vérité puisqu’il semble bien être le premier chanteur country à s’afficher ouvertement, tant dans sa vie personnelle qu’en paroles et en musique. Son premier album, paru en 1993, porte d’ailleurs le titre très évocateur de « Out in the Country », un jeu de mots entre les deux significations de « country » : le genre musical et le pays. Bien évidemment, l’histoire de la musique country gaie comporte de nombreux autres balbutiements, mais jamais réalisés avec autant d’aplomb et d’appropriation. Un peu d’histoire s’impose cependant !

    Doug Stevens & the OUtband (Out in the Country)

    Écrite en 1930, la chanson « Lavender Cowboy » décrit les déboires d’un homme jugé insuffisamment viril puisqu’il n’a que deux poils sur le torse. Cette mention peut paraître anodine, mais l’enregistrement de 1939, de Vernon Dalhart, fut tout de même banni des ondes en raison d’un contenu inapproprié. Bien que l’homosexualité n’y soit pas clairement exprimée, la référence semble très clairement comprise par le public de l’époque.

    En 1937, Bob Skyles ajoute même une ligne indiquant que le cow-boy était « Just a cream-puff of the West ». En 1959, une conclusion homophobe est ajoutée par le chanteur Paddy Roberts, où le cow-boy, qui se parfume dorénavant au Chanel no 5, est abattu en raison de son manque de virilité : « So they shot the lavender cowboy / And they said as they laid him to rest / You’ll be happier now, boy / You can’t be a cowboy / With only three hairs on your chest. » Dans cette même célébration des clichés, on retrouve également « The Sissy Song » interprétée par Billy Briggs, en 1951, qui proclame que si on se comporte comme une moumoune (a sissy), on n’a d’autre choix que de mettre fin à ses jours.

    Bien que comportant une thématique gaie, ces chansons demeurent avant tout un véhicule de dérision au service d’un interprète hétéro. Il faudra attendre 1973 pour voir la production de l’album Come Out Singin’ par le groupe Lavender Country. Celui-ci n’est cependant imprimé qu’à quelques centaines d’exemplaires par le Gay Community Social Services de Seattle et on parle donc d’une production quasi confidentielle. On peut y noter une pièce au titre très évocateur : « Cryin’ These Cocksucking Tears » (Pleurer ces larmes de suceur de bites).

    Romulus (Love Is Just An Inch Away)

    Les années 70 ont vu quelques interprètes produire des albums country, mais jamais à grande échelle. En 1983, le groupe Romulus sort un album de chansons aux paroles très explicites, dont « Love Is Just an Inch Away », mais encore une fois on parle d’une diffusion très locale. Pour une réelle pénétration du marché (le jeu de mots est intentionnel), il faut attendre 1993 alors que Doug Stevens & The Outband fait irruption sur la scène country et semble être le premier à cocher toutes les cases : 1) afficher son orientation sexuelle ; 2) l’exprimer clairement et non métaphoriquement dans les chansons ; et 3) connaître un succès autre que local.

    Doug Stevens se consacre au chant classique jusqu’en 1991, alors qu’il apprend être atteint du VIH, un diagnostic plutôt lugubre à l’époque : il décide alors de s’orienter vers le country, un genre qui lui apparaît mieux correspondre à son vague à l’âme et à son désir d’affirmation. Les années 90 voient la production de plusieurs albums aux titres évocateurs : Out in the Country (1993), HIV Blues (1993) et When Love Is Right (1995), dans lequel on retrouve la chanson « Hang Your Clothes in the Closet ».

    Cette petite révolution ouvrira les portes à une génération de nouveaux interprètes qui, dans les décennies suivantes, afficheront progressivement leurs couleurs. On peut notamment songer au chanteur canadien Orville Peck, dont la voix puissante et envoûtante a conquis les palmarès avec des succès comme « Daytona Sand », « Let Me Drown » et dont la chanson « Cowboys Are Frequently Secretly Fond of Each Other », interprétée en duo avec Willie Nelson, a marqué l’année 2024.

    À noter qu’au-delà des interprètes, la musique country a toujours fait frissonner le cœur et frétiller les talons des communautés LGBTQ du Québec. C’est ainsi que dès le milieu des années 90, Fugues évoque de nombreux événements tenus par des clubs de danse country gaie, comme le club Bolo ou les Hors-la-loi du Faubourg : « Spring Stomp 95 » (juin 1995), « Le Club Bolo Danse Country Montréal : la balade des gens heureux » (février 1997), « Du pur plaisir ! Bilan du congrès de danse country » (septembre 2003), « Déjà 10 ans : les Hors-la-loi du Faubourg » (avril 2003).

    Rose est la nouvelle couleur du pouvoir !
    En octobre 1986, un autre article de Fugues attire le regard : « Raymond Blain, candidat
    gai 
    ». L’événement est à ce point exceptionnel qu’il est repris, le même mois, dans la revue
    Sortie : « Un conseiller municipal gai ou un gai conseiller municipal? ». Il faut dire que cette candidature constitue du jamais vu dans le secteur politique, que ce soit sur le plan municipal, provincial ou fédéral.

    S’afficher aussi ouvertement comportait cependant une part de risque puisque les années 80 étaient marquées par la crise du sida et que l’on constatait une régression dans l’acceptation de l’homosexualité. Contre toute attente, Raymond Blain est élu et même réélu représentant de la circonscription de Saint-Jacques au conseil municipal de la Ville de Montréal, de 1986 à 1992. À ce titre, il constitue le premier candidat ouvertement gai à avoir été élu à un poste politique, que ce soit au Québec ou sur l’ensemble du territoire canadien.

    Raymond Blain
    Raymond Blain

    Au cours de ses mandats, il s’illustre dans des dossiers touchant de près les communautés LGBTQ comme l’implantation de la ligne Info-Drogue, l’adoption d’un programme de lutte contre le sida, la création de maisons d’hébergement pour les personnes vivant avec le VIH et la mise en place du parc de l’Espoir, situé en plein cœur du Village. Après son décès en 1992, des suites du sida, un parc est nommé en sa mémoire, sur la rue Panet, entre Lafontaine et Logan (« On se souvient de… Raymond Blain » (juillet 2012).

    Il faut noter qu’en octobre 1982, la revue Sortie présente un portait du politicien de Colombie-Britannique Svend Robinson (« Svend Robinson : ni faux semblant ni proclamation »), où celui-ci professe son attachement aux luttes gaies. Ce n’est cependant que six ans plus tard, soit en 1988, qu’il affiche clairement ses couleurs et devient alors le premier politicien à faire sa sortie du placard alors qu’il est toujours en poste. Raymond Blain occupe la première place dans une autre catégorie : celle d’un candidat élu alors que son orientation sexuelle était déjà connue du public.

    Au fil des années, plusieurs politicien.ne.s des communautés LGBTQ prendront la parole dans Fugues tels que, au hasard : « Claude Charron : ennemi public no 1… de la médiocrité » (février 1988), « Réal Ménard, mis à nu… » (août 1995), « Louise Roy : la femme aux mille défis » (mai 1999), « Jacques Gill de Saint-François-du-Lac, dans le comté de Yamaska : un maire gai en région ? C’est possible ! » (juillet 2000), « “Le Village a besoin d’amour” : Manon Massé, co-porte-parole de QS et députée » (juillet 2019).

    Ailleurs dans l’actualité
    En octobre 2002, la lutte pour le mariage inclusif prend un tournant décisif (« Mariages gais : la Cour supérieure donne raison au couple Hendricks-LeBoeuf ») et le ton est même résolument optimiste (« Le jugement de la Cour supérieure concernant le mariage : « Si la tendance se maintient, nous pourrons nous marier dans 2 ans »). Malgré quelques brouhahas (« Mariage entre conjoints de même sexe : le ton monte dans le débat sur le mariage gai au Canada », octobre 2003), c’est en 2005, soit trois ans plus tard, que la Loi fédérale sur le mariage civil entre en vigueur !

    Le 10 octobre 1953, Ici Montréal révèle que « De 4 h 30 à 6 h p.m., les habitués de la place d’Armes voient toujours les mêmes visages à l’entrée des vespasiennes » et que « Les “fifis” ont élu domicile dans un club du voisinage de l’hôtel Mont-Royal ». Une semaine plus tard, le 17 octobre, le même magazine nous glisse que « Une nouvelle mode vient d’être lancée chez les homosexuels de la métropole, celle de porter une boucle d’oreille à l’oreille gauche ».

    Le 23 octobre 1953, Ici Montréal remballe avec une nouvelle scandaleuse : « J’ai assisté à des fiançailles d’homosexuels : ces dépravés se jurent fidélité dans des orgies sans pareilles ». Finalement, le 6 octobre 1956, un homme épanche son cœur dans le même magazine : « Dans l’Ouest, ma chère ! Un homme d’affaires de la rue Terrebonne constate que le cercle de bridge de sa femme était un “club de lesbiennes” ».

    Sur une note plus spirituelle, le Berdache d’octobre 1979 consacre un numéro entier au thème des relations conflictuelles entre Église et homosexualité et, sur une note plus mercantile, le même numéro révèle que McDonald Canada a déposé une requête en injonction pour empêcher l’ouverture d’une discothèque gaie au-dessus d’un resto situé au square Dominion dans un article au titre savoureux : « Big Mac attaque ».

    Note : Lorsqu’une référence ne précise pas le titre du périodique associé à un article, c’est qu’il s’agit de Fugues et lorsque le mois n’est pas mentionné, c’est qu’il s’agit d’octobre.

    Pour plus de détails sur l’histoire de la musique country :
    The History of Gay C&W Music https://www.queermusicheritage.com
    Lavender Cowboy : Charting a Song’s History : https://www.queermusicheritage.com
    Le Berdache est disponible sur le site des Archives gaies du Québec https://agq.qc.ca

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