Le coup de foudre est, on le sait, un ravissement, un emportement. Le corps est kidnappé, l’esprit devient fébrile, le cœur bat la chamade. On passe de l’allégresse au désenchantement, et vice-versa. Plus rien ne compte. Et on ne veut pas toujours voir ce qu’on devrait voir.
Septembre de l’écrivain français Jean Mattern nous fait revivre subtilement les effets d’un coup de foudre. Il raconte l’histoire de ce rapt amoureux que subit Sebastian, reporteur pour une chaîne britannique d’information qui lui demande d’aller aux jeux Olympiques de Munich. On est en 1972. Sebastian ne connaît pour ainsi dire rien aux sports, mais il fera du social en tournant un reportage sur Mark Spitz, fameux nageur olympique, en allant recueillir les propos d’une famille allemande, etc.
Il va donc à Bruxelles, laissant son épouse et sa fille; il compte bien leur téléphoner et même les rejoindre à Londres pour le week-end. Mais ses intentions seront contrariées, sa vie prendra un virage inattendu à cause un homme, un journaliste juif américain, dont il tombera follement amoureux: Sam Cole.
Il faut dire que le narrateur parle d’un passé ancien, refoulé. Le président du comité olympique s’oppose à la commémoration, par une minute de silence durant la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques d’été de 2012, des 40 ans de l’assassinat de onze athlètes israéliens. La chaîne de télévision demande alors à Sebastian de retourner en Allemagne, mais il décline l’offre. Il a une dette à effacer.
Ce sera le récit de ses journées munichoises demeurées depuis secrètes. L’écriture ramènera à la lumière un homme qui aura disparu de sa vie. C’est une histoire singulière qui s’ancre dans une autre, plus grande, une prise d’otages qui a tourné au massacre de la délégation israélienne.
Sebastian ne peut séparer ni l’une ni l’autre. Parce que sa vie qui s’annonçait normale, convenue, a été détournée et a acquis une plénitude qu’elle ne devait pas avoir. Par petites touches, Sébastian évoquera la rencontre avec Sam et toutes les affres de l’appel de l’amour. Son séjour munichois est lié inexorablement à des rencontres promises — mais parfois non tenues — avec Sam.
Entre les inquiétudes, se glisse la joie; la sueur va avec les peines. Une drague qui ne dit pas son nom se met en place dans laquelle l’ambiguïté de la situation se dilue. La passion s’installe, s’enchevêtrant à la prise tragique des otages dont Sebastian ne voit pas toutes les conséquences. Son état d’éblouissement a eu quelque chose d’aveuglant et qu’il réalise maintenant. Sam est peut-être encore en Amérique, mais il est resté muet depuis. Sam le fantôme. Et maintenant, Sebastian le coupable, car il se sent coupable d’avoir vécu un moment heureux pendant ces onze assassinats.
Jean Mattern nous fait revivre avec intensité ce bouleversement intime, tout en nous donnant, presque sous forme documentaire, toute l’atmosphère de ces jeux noirs. Récit moins simple qu’il ne paraît tant il fouille le cœur et la conscience du narrateur, mais qui demeure d’une grande sobriété.
Une autre histoire d’un homme marié qui tombe amoureux d’un homme. Une histoire vraie, en plus, celle du poète Aragon, membre du bureau politique du Parti communiste français et ci-devant écrivain de 55 ans, et de Mahé, émissaire du Kominform de 28 ans venu à Paris surveiller un procès important (comme il y en aura plusieurs menés par l’Union soviétique et ses pays satellites).
Dans Qui dira la souffrance d’Aragon? Gérard Guégan raconte lui aussi un coup de foudre. Nous sommes dans l’après-guerre, en France où le PCF ratisse large. Et ce parti n’aime pas les homosexuels. L’écrivain explore les six jours clandestins durant lesquels Aragon et Mahé se livrent à une passion foudroyante au risque d’être surpris et condamnés par un parti autoritaire qui ne n’accepte aucune « déviation ».
Le célèbre poète, lui, est marié à Elsa, la tyrannique Elsa qui sait très bien que son illustre époux n’est pas si hétéro que ça (ce qui se confirmera après la mort d’Elsa). On est ainsi autant dans le vaudeville que dans le drame, cette éphémère et furieuse histoire d’amour se déroule sur fond de stalinisme, de procès de deux membres importants du PCF, de manigances de ses membres, de leurs mensonges et de leurs crocs en jambe, de leur goût du complot et de leur inévitable mesquinerie.
C’est donc ici encore une petite histoire qui s’inscrit dans une grande, celle du communisme français et de la Guerre froide. Pour ce, Gérard Guégan s’arme d’un regard à la fois clinique et caustique. Il est ici à la fois tendre et impitoyable.
Septembre / Jean Mattern. Paris: Gallimard, 2015. 135p.
Qui dira la souffrance d’Aragon / Gérard Guégan. Paris: Stock, 2015. 274p.