À la tête de la direction artistique du Festival Transamériques (FTA), le comédien et metteur en scène Martin Faucher est passionné dans sa recherche de spectacles contemporains d’ici et d’ailleurs. Pour l’édition 2019, il nous propose un échantillon surprenant souvent, éblouissant toujours, de la vitalité des créateurs de notre monde incertain.
La programmation exceptionnelle de cette année est une formidable fenêtre sur le monde, sur la vitalité des créateurs et des chorégraphes. Un miroir de nos sociétés, un miroir de nos préoccupations et de nos inquiétudes. Un miroir qui nous invite à être des Alice et à passer de l’autre côté de notre reflet.
Martin Faucher a toujours été curieux, sensible et réceptif à ce qui se passait autour de lui. Comme il le souligne, il a grandi en étant témoin de tous les bouleversements des années 70 qui dessinaient ce qu’allait devenir le Québec d’aujourd’hui.
«J’ai eu la chance d’avoir avec ma famille une ouverture sur la culture en général, explique Martin Faucher, et j’avais cette sensibilité-là. Je ne sais pas si mon orientation sexuelle à avoir avec cette sensibilité, car je connais plein d’hommes hétéros qui ont cette même sensibilité. Peut-être aussi que l’imaginaire gai a pu se développer à cette époque par les pièces et les romans de Michel Tremblay ou les chansons de Diane Dufresne, mais j’adorais aussi écouter Beau Dommage, Jean-Pierre Ferland ou Robert Charlebois, qui ne sont pas rattachés à un imaginaire gai. Peut-être est-ce de cette époque-là que date mon intérêt pour les phénomènes de changement, qu’ils aillent dans la bonne ou la mauvaise direction.»
Mais très vite, l’entrevue glisse sur la programmation du FTA 2019, une illustration de la philosophie qui préside aux choix de l’équipe du FTA et de Martin Faucher. «Nous essayons toujours d’avoir une programmation qui tienne compte de la diversité, géographique avec des spectacles qui viennent de tous les continents, une présence équilibrée homme/femme, mais aussi de la diversité sexuelle et de genre, et la question du genre est peut-être un peu plus présente cette année.»
Genderf*cker de et avec Pascale Drevillon
«Bien évidemment, on parle beaucoup du genre aujourd’hui, précise Martin Faucher, et Pascale nous propose un voyage étonnant, mais c’est aussi une métaphore autour de notre décision d’être vraiment ce que nous sommes sans compromis. Toutes celles et ceux qui ont une quiconque envie de changement pour être au plus près d’elles et d’eux-mêmes seront intéressé.es par la proposition de Pascale Devrillon.»
Savušun de et avec Sorour Darabi
«J’ai connu Sorour en elle et je l’ai croisée deux ans après en lui» se souvient le directeur artistique. «J’ai deux spectacles de Sorour, dont le premier en Farsi. Avec Savušun, Sorour se réapproprie des rituels chiites pour exprimer sa résistance». Seul en scène au moyen de la danse, Sorour expose un corps en transition féminin et masculin. Comment résister et s’épanouir dans une société qui police les genres et condamne les transgressions.
Put Your Heart Under Your Feet… And Walk ! de et avec Steven Cohen, présenté par Fugues
«Là encore, on touche aux identités, aux minorités avec Steven Cohen. Cet artiste est afrikaner, blanc, juif et homosexuel. Avec Put Your Heart… un spectacle aux frontières des arts visuels, le chorégraphe ose un solo sur la douleur, presqu’insoutenable, douleur du décès de son compagnon avec lequel il a vécu plus de vingt ans», commente Martin Faucher.
Parmi les propositions venues d’ailleurs retenons…
Granma, Trombones de la Havane de Stefan Kaegi. Des jeunes musiciens sont confrontés aux changements qui secouent Cuba, au développement d’une économie parallèle, à la gentrification, et assistent au point de rupture avec le communisme révolutionnaire et la révolution que leurs grands-parents ont connue. Dans une proposition originale Stefan Kaegi porte un regard sur ces changements historiques.
De même avec Kalakuta Republik de Serge Aimé Coulibaly, nous plongeons non pas dans une Afrique, mais des Afriques qui se font de plus en plus entendre sur la scène artistique. Le chorégraphe Coulibaly, Burkinabé d’origine, reprend la musique du Nigérien Fela Kuti, qui au cours de sa vie n’a cessé de dénoncer la corruption des pouvoirs au Niger tout en laissant une œuvre musicale remarquable.
May He Rise and Smell the Fragrance, le chorégraphe libanais Ali Chahrour propose une danse de la mort pour retrouver dans les mythes les rites entourant les funérailles pour nous faire entendre aujourd’hui les cris de celles et ceux qui meurent dans les conflits.
Enfin, d’Asie, Cuckoo de Jaha Koo, un ovni théâtral d’un jeune sud-coréen aujourd’hui installé aux Pays-Bas. Un dialogue s’installe entre le comédien et trois cuiseurs de riz qui parlent et rassurent un instant le personnage affecté par le suicide d’un ami. Une critique en demi-teinte d’une Corée du sud où tout est axé sur la performance et la réussite des individus dans un monde libéral, et des conséquences tragiques sur ceux qui ne réussissent pas. «Une réflexion sur la fragilité de l’humain face à la machine économique», de commenter Martin Faucher.
Les artistes québécois.es ne seront pas en reste pour cette édition. Le festival ouvrira ses portes avec un dramaturge et metteur en scène bien connu ici. Wadji Mouawad présentera sa dernière création Tous des oiseaux, une grande fresque sur fond d’histoire d’amour entre deux êtres que tout oppose, la culture, la religion, et la terre, elle, Arabe, lui, d’origine israélienne. Ou comment les tragédies collectives ont un impact sur l’intime de nos vies. Deux projets ambitieux l’un portant l’œuvre de la romancière et poétesse Marie-Claire Blais, l’autre sur le projet d’une Constitution québécoise écrite par les Québécoises et Québécois, une œuvre folle du non moins fou et inspirant metteur en scène Christian Lapointe. Avec 42 citoyen.nes déjà choisi.es au hasard, accompagné.es de légistes et d’expert.es, elles et ils sont chargé.es de rédiger une véritable Constitution du Québec qui sera présentée sur scène et à laquelle les spectateur.es seront en charge de la discuter, la modifier, etc. Le théâtre devient alors le lieu d’une véritable démocratie participative, un forum de la parole, quand les frontières tombent et que la fiction pourrait être une réalité. Constituons sous la houlette de Christian Lapointe, sera sans nul doute un moment fort de cette édition du FTA.
Tout aussi titanesque, le projet mené par Denis Marleau et Stéphanie Jasmin de porter la voix singulière sur scène de Marie-Claire Blais, avec SOIFS Matériaux. En s’appropriant l’œuvre de l’autrice pour en faire ressortir ce qui touche à l’infiniment intime mais aussi aux grands enjeux collectifs, les concepteurs réuniront sur scène 25 comédien.nes et non des moindres, ainsi que des musiciens et le Quatuor Bozzini.
Evan Webber et Franck Cox-O’Connell, de Toronto, explorent un Jésus qui aurait été un marchand du temple, plus intéressé à faire partie d’un groupe sélect que de porter secours aux plus démuni.es. Other Jesus sera présenté dans l’Église St-Jax, mais il ne se produira aucun miracle.
Et de Montréal, la chorégraphe Catherine Gaudet représentera L’Affadissement du merveilleux, crée l’automne dernier à l’Agora de la danse, ainsi que Clara Furey qui continue sa recherche mêlant danse et performance sur les différents états du corps avec Rather a Ditch.
La chorégraphe Danièle Desnoyers, avec UNFOLD / 7 perspectives, interrogera le corps sur ses propres résistances. Cette création pour sept danseur.ses est une œuvre en rupture avec ce que nous avait habitué la chorégraphe qui privilégiait la fluidité. Ici, il sera plutôt question de ruptures, de cassures du mouvement.
Ne dit-on pas que les utopies d’aujourd’hui ne sont que les réalisations de demain. Voilà bien une édition du FTA qui rappellera pour celles et ceux qui l’auraient oublié que l’art n’était pas seulement du divertissement mais aussi un vecteur politique, un vecteur de changement. Aussi bien pour analyser le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui que pour nous ouvrir des fenêtres sur demain, nous faire rêver sur d’autres avenues à emprunter pour des lendemains un peu plus chantants. Les artistes sont des acteurs et des actrices sociaux qui participent au changement.
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