Qu’est-ce qui se cache derrière l’histoire de l’industrie du film érotique gai ? On a bien souvent l’impression que, sous une forme ou une autre, la porno a toujours existé et c’est tout à fait exact. Il y a cependant une différence importante entre du matériel accessible sous le couvert du manteau (et passible de peines criminelles) et la situation actuelle où à peu près tout est accessible au bout des doigts.
C’est à la découverte de cette histoire fascinante que nous convie James Somerton sur sa chaîne YouTube dans une vidéo de près de 90 minutes au contenu extrêmement bien recherché et, j’assume ici le jeu de mots, fort bien monté. Même s’il s’agit d’une publication imprimée, la vidéo débute par une présentation du magazine Physique Pictorial, premier magazine « érotique gai » américain disponible en kiosque, où s’étalait une pléthore de culturistes bien huilés. Sa popularité fut tel qu’elle donna naissance à une série de films 16 mm qui trouvèrent rapidement preneur.
Évidemment, le contenu demeure relativement chaste (simulation d’actes sexuels et aucune érection visible), mais suffit à enflammer l’imaginaire et l’esprit d’entrepreneuriat de plusieurs. S’ensuit alors la production des premiers véritables films pornos gais avec, en tête d’affiche, Boys in the sand réalisé par Wakefield Poole, en 1971 (et qui eut droit à un lancement, devant l’élite culturelle de l’époque, digne d’un film de répertoire).

Se déclinent ensuite différents jalons: naissance d’institutions tel que Falcon, arrivée du support vidéo à domicile, impact du sida et des controverses sur le port ou non du condom dans la porno, invasion du web, la sinistre affaire Cobra Video et cyber sexualité. Le vidéaste met également bien en lumière l’impact de ces films sur la construction d’un identitaire ou d’un référentiel pour les hommes gais puisque, pendant très longtemps, la seule image disponible sur support filmique était celui d’homme très efféminé qui ne dégageait aucune once de sexualité (une image rassurante pour le grand public). La production de la porno par des hommes gais a rapidement vu se mettre en place une vision masculine, quelquefois même hyper-masculine, qui a permis une libération identitaire et la promesse d’une sexualité débridée et vécue avec fierté, qui s’est avérée capitale pour plusieurs. Mouvement de balancier oblige, le twink s’est imposé avec force dans les années 80 puis une diversification progressive des modèles proposés.

On l’oublie également trop souvent, mais c’est la force de l’industrie de la porno gaie qui a dicté certains choix ou révolutions technologiques. Par exemple, le choix de Falcon pour le VHS, plutôt que le Betamax, a entrainé la suprématie du premier. Dans les années 90, devant la crainte d’un plus grand contrôle (lire restriction) de la vente de vidéos en magasin, les producteurs ont fait développer le concept du vidéo en ligne avec des extraits et la possibilité de commander puis de nouveaux développements technologiques ont permis celui de la diffusion en ligne pure et simple. Concrètement, les plateformes de diffusion en ligne telle Netflix sont donc les héritières de ces avancées. La porno a donc eu un impact énorme sur de nombreux éléments de notre vie quotidienne que l’on soupçonne rarement.
Un voyage fascinant au cœur d’une industrie beaucoup plus complexe qu’on croirait et qui se termine par une information plutôt surprenante. MindGeek, la plus grande entreprise de publication de contenus pornographies sur le web, rassemblant sous son ombrelle des sites comme Pornhub, RedTube, Youporn, Men.com, Sean Cody, etc. est… montréalaise. Un quasi-monopole qui compte 115 millions d’utilisateurs et constitue le troisième consommateur en importance de bande passante derrière Google et Facebook. Et tout cela a débuté par une production quasi artisanale sur 16 mm…
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