Des célébrations de la fierté encore nécessaires

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Fierté Montreal 1 crédit Alison Slatery

Comme chaque année, à l’approche des fêtes de la Fierté québécoises, on nous demande avec scepticisme : une célébration et une manifestation publique, c’est vraiment nécessaire ? Ne parle-t-on pas déjà assez de diversité au Québec, dans notre société ouverte et somme toute inclusive ?


On dit que quand on se compare, on se console. En juin dernier, une trentaine de membres du Patriot Front, un groupe haineux suprémaciste blanc, ont été arrêtés de justesse alors qu’ils étaient prêts à déclencher une émeute lors d’une fête de la Fierté en Idaho, aux États-Unis. 

Deux semaines plus tard, un tireur a fait deux morts et plus de 20 blessé·e·s dans un bar gai lors d’un autre évènement de la Fierté à Oslo en Norvège. Pendant ce même « mois de la Fierté », nos communautés ont célébré le 6e anniversaire de la fusillade de la boîte de nuit Pulse, à Orlando, aux États-Unis, qui a fait 49 morts.

Plusieurs renchérissent qu’au Québec, ce n’est pas pareil. Que leur oncle homosexuel vient au party de Noël et que son chum est aussi bien accueilli que les autres conjoint·e·s. Que leur voisine lesbienne et sa blonde semblent n’avoir aucun problème à la garderie du quartier, que leur collègue non binaire a été très bien accueilli·e dans l’équipe de travail, qu’une autrice trans vient de gagner le prestigieux Prix des libraires… Et pourtant.

Le mois dernier, des élu·e·s de l’arrondissement de Saint-Laurent, à Montréal, ont annulé sans explication l’heure du conte de Barbada de Barbades, une drag queen qui anime des activités destinées aux enfants. En juin, la même activité avait pu se dérouler comme prévu à Dorval, mais pas sans présence policière : en amont de l’évènement, Barbada avait reçu de nombreux commentaires haineux et des menaces.

L’hiver dernier en Montérégie, le JAG, un organisme communautaire, a été pris d’assaut et a reçu bon nombre de menaces, d’actes d’intimidation et de messages désobligeants à la suite de la publication d’une vidéo sur TikTok. 

Cette tentative de brimer le travail d’un organisme qui fait de la sensibilisation sur les enjeux de diversité sexuelle et de pluralité des genres dans les écoles fait écho aux lois américaines « Don’t Say Gay », par lesquelles des États interdisent que les réalités LGBTQ+ soient discutées dans les écoles.

Comme quoi la haine dépasse les frontières ; l’intolérance et l’ignorance se cultivent au Québec, comme ailleurs.

Certains s’insurgent dans leurs chroniques, dans les commentaires ou autres tirades radiophoniques : pourquoi donc accorder tant d’importance à cette minorité woke, à ces irréalistes dont on ne comprend pas les demandes, au « lobby queer » qui voudrait que tout le monde change de genre et qui n’est jamais content, même avec les lois, les chartes, les programmes de protection contre les discriminations… C’est bien assez !

Non, de toute évidence, ce n’est pas assez.

Les incidents mentionnés ci-dessus ne sont que le reflet d’une société et d’institutions encore discriminatoires et peu adaptées. Ainsi, selon les résultats de l’enquête Savoirs sur l’inclusion et l’exclusion des personnes LGBTQ+ au Québec 2019-2020, les personnes LGBTQ+ sont encore nombreuses à se sentir obligées de dissimuler leur identité, leur orientation, leurs pratiques sexuelles ou leur parcours trans. 

Par exemple, 63 % des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles ou queer au Québec n’en font pas mention au travail et 58 % témoignent y avoir reçu des commentaires indiscrets ou offensants. 

Près de la moitié des jeunes LGBTQ+ se sentent malheureux ou déprimés en milieu scolaire et les incidents d’intimidation ne sont pas rares. Dans le contexte parascolaire, c’est la moitié des parents LGBTQ+ qui évitent de dévoiler leur orientation sexuelle par crainte de discrimination.

Si l’accès aux soins de santé et aux services sociaux demeure inégal pour les personnes LGBTQ+ en général, les personnes trans et non binaires sont tout particulièrement touchées par la précarité socioéconomique : 29 % d’entre elles rapportent avoir vécu de la discrimination dans leur recherche d’un logement et près de la moitié de celles d’entre elles qui vivent seules ont un revenu annuel inférieur au seuil de pauvreté.

Nos vies qui sortent des modèles hétérosexuels et cisgenres continuent d’être ignorées, de choquer, de déranger et de fâcher, assez pour que notre épanouissement rencontre encore l’incrédulité et le mépris, assez pour que les incidents violents et les discours discriminatoires ressurgissent encore et encore.

Même aujourd’hui, il faut continuer à faire preuve de vigilance, à modifier nos lois et politiques publiques pour promouvoir une réelle inclusion. Et pour y arriver, la visibilité est l’une de nos stratégies. Depuis les premières manifestations menées par des personnes trans, racisées, parmi les plus marginalisées dans notre société, les fêtes de la Fierté sont une occasion de rendre visibles nos vies et de tenir tête à la haine. 

Oui, aujourd’hui, nous avons encore besoin des Fiertés.

PAR ARIANE MARCHAND-LABELLE

DIRECTRICE GÉNÉRALE DU CONSEIL QUÉBÉCOIS LGBT, AU NOM DE 41 AUTRES ORGANISMES *

Cosignataires : AGIR, Alliance Arc-en-ciel de Québec, ARCG – Aînés et retraités de la communauté gaie, Archives gaies du Québec, BLITSS, Centre communautaire LGBTQ+ de Montréal, Centre de solidarité lesbienne, Coalition des familles LGBT+, Coalition d’aide à la diversité sexuelle de l’A-T, Coalition des groupes jeunesse LGBTQ+, Divergenres, Divers-Gens, Diversité 02, Diversité KRTB, Bas-Saint-Laurent, Équipe Montréal – Sports et loisirs LGBTQ+, Fierté Montréal, Fondation Massimadi, Fondation Émergence, Gay and Grey Montréal, GRIS Estrie, GRIS Mauricie/Centre-du-Québec, GRIS Montréal, GRIS Québec, Helem Montréal, Inclusion sport, Montréal, Interligne, IRIS Estrie, JAG/organisme LGBT+, Jeunesse Idem, Jeunesse Lambda, Jeunes Identités Créatives, Les 3 sex*, Le Dispensaire/centre de santé communautaire, Portail VIH/sida du Québec, Project 10, QueerTech/Regroupement LGBT en Technologie, RÉZO, santé et mieux-être des hommes gais et bisexuels, cis et trans, Sphère — Santé sexuelle globale, TransEstrie, Trans Mauricie/Centre-du-Québec et Trans Outaouais 

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