En intitulant son troisième album Néo-romance, Alexandra Stréliski fait un clin d’œil à sa nouvelle histoire d’amour et à ses ancêtres musiciens qui vivaient aux Pays-Bas à l’époque romantique, en plus de corriger le tir auprès de celleux qui classent sa musique dans le giron néo-classique. À la fois plus mature, plus grave et plus douce qu’auparavant, la pianiste n’a rien perdu de ce je-ne-sais-quoi qui enivre et qui envoûte.
Pourquoi considères-tu ta musique comme néo-romantique ?
Alexandra Stréliski : À mes débuts, je me foutais d’où j’étais classée et je disais que ça n’avait pas beaucoup d’importance. À force de me renseigner sur l’histoire de l’art, j’ai constaté que je faisais plus du néo-romantisme que du néo-classique. Les romantiques allaient de l’intérieur vers l’extérieur. Ils exprimaient une voix individuelle pour make sense of the world. Ils étaient portés par des thèmes comme la nature, l’imaginaire et l’ancien. Je me suis demandé c’était quoi le néo-romantique, notre relation à la nature et à l’imaginaire, qui me semble de plus en plus nécessaire, alors qu’on est un peu désillusionné.e.s.
Comment décris-tu ta signature ?
Alexandra Stréliski : J’aime renverser le principe de la musique de film en faisant de la musique d’abord et en laissant le film se créer dans la tête des gens ensuite. J’ai une approche minimaliste de la musique et un côté pop dans mes structures mélodistes. J’ai toujours un souci de raffinement artistique et d’universalité. Au-delà de la composition, la musique est un véhicule pour l’émotion. Le piano est une forme de catharsis dans ma vie.
Cet album présente-t-il une nouvelle facette de toi ?
Alexandra Stréliski : Je ne suis pas au même endroit dans ma vie. J’ai vieilli, fait de la tournée et vécu du succès. Tout ça me change comme humain et comme artiste. Il y a aussi une part de maturité qui me permet d’assumer des émotions plus sombres. J’ai eu moins peur d’être sincère et d’aller à fond dans nos émotions. Musicalement, j’ai aussi ajouté des cordes avec parcimonie. C’est quelque chose que je faisais avant en spectacle, mais c’est la première fois que je le fais sur un album. Je voulais magnifier l’image et faire grandir le spectre, dans l’idée d’éventuellement faire quelque chose d’une grande ampleur. Je commence avec un trio de cordes et oups, attention, vous allez peut-être vous ramasser avec un orchestre symphonique.
Tu ne te dénatures pas pour autant.
Alexandra Stréliski : J’aime l’idée de prendre les gens quelque part et de les amener ailleurs sans les brusquer. Comme artiste, il faut toujours se renouveler un peu, mais j’aime bien y aller en douceur. J’ai étiré un peu les frontières de ce que je faisais, alors que Inscape était un peu plus renfermé et intérieur.
Ça te fait quoi de savoir que plusieurs personnes écoutent ton album d’un bout à l’autre, et non à la pièce ?
Alexandra Stréliski : Ça me plait beaucoup et j’espère que ça ne va pas disparaitre. Je pense que c’est un des rares styles qui est encore souvent écouté d’un bout à l’autre. On voit l’album comme une œuvre. Le côté classique nous rend service ici. Il y a encore un certain respect de l’œuvre. Écouter l’album, c’est comme si tu regardais un film.
Quel est l’impact de ta relation amoureuse sur l’espace créatif dont tu disposes pour faire de la musique ?
Alexandra Stréliski : C’est une relation de paix, de sécurité et de reconnaissance que cette personne est devenue ma maison. Ça vient avec quelque chose de très rassurant. Quand je suis chez moi, je suis calme, je suis en amour, j’ai des amis qui viennent souper. C’est là que je crée. D’ailleurs, ce n’est pas dans le creux de ma dépression que j’ai créé Inscape. L’album a été teinté de ça. Par contre, je crois que c’est un mythe de dire que les artistes créent dans la souffrance. Moi, je crée dans le confort, quand j’ai le temps et que je n’ai pas besoin de me soucier de l’amour. J’ai créé Néo-romance en pleine pandémie, lorsque je suis allée vivre au moins six mois aux Pays-Bas dans une bulle d’amour domestique calme.
Certaines personnes regardent encore de haut le néo-classique et le néo-romantisme. Je me rappelle avoir entendu un chroniqueur dire que c’était de la facilité et que ça plaisait seulement à des personnes sans personnalité. Tu réagis comment à ça ?
Alexandra Stréliski : J’imagine que les personnes qui écoutent du classique plus ancien vont trouver que ce genre est dans le registre [de la] pop, mais de dire que les gens qui écoutent ça n’ont pas de personnalité, je trouve ça abruti. On essaie de ratisser plus large : certaines personnes ne ressentent pas l’émotion aussi facilement quand elles écoutent une symphonie de Mahler, que lorsqu’elles écoutent du Simon Leoza ou du Jean-Michel Blais. Après, dans le registre de mon style musical, il y a des choses moins bonnes, comme dans tout. Effectivement, on a peut-être vu un volume de playlists d’écoute de musiques de piano un peu simples. Ça existe aussi. Par contre, si on dit ça de moi, je ne suis pas du tout d’accord. On confond souvent minimalisme et simplicité, mais il y a aussi des artistes qui font du minimalisme très plate. Ça dépend de quoi on parle.
J’ai l’impression que ton succès et ceux de Jean-Michel Blais et de Flore Laurentienne ont montré à des artistes comme Cœur de pirate, Ingrid St-Pierre et Alex Nevsky que le public avait un appétit pour des propositions instrumentales. Ça te fait quoi de voir ça ?
Alexandra Stréliski : C’est propre au Québec. Ailleurs dans le monde, il y a de la musique néo-classique depuis un bon 15 ans. Le fait qu’il y ait maintenant des succès commerciaux ici, ça incite les artistes et les maisons de disque à proposer ça davantage. Des fois, on est avant-gardistes au début et on réalise qu’il y a un public immense pour ça. Ça crée un écosystème plus riche et plus diversifié. Il faut de la diversité partout, de la diversité musicale, culturelle, des genres et des orientations sexuelles.
À quoi ressemble la tournée qui s’annonce ?
Alexandra Stréliski : Elle débute à Montréal les 11 et 12 avril 2023 à la salle Wilfrid-Pelletier. Ensuite, je vais dans les plus grosses capitales d’Europe, avant de revenir aux États-Unis et au Québec. Je m’attends à tourner un an ou deux. Ça va être intense d’être autant sur la route, mais mon sentiment de home, c’est ma blonde et elle peut bouger avec moi. Elle vient à Montréal quand je viens ici. Quand je tourne en Europe, je peux aller chez nous aux Pays-Bas. Quand je tourne en Amérique du Nord, je peux revenir à la maison.
INFOS | Néoromance d’Alexandra Stréliski, disponible dès le 31 mars.
www.youtube.com
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