En novembre 1997, un article de Fugues annonce que c’est « L’heure du vote : les jeux gais de 2002 ». Il faut savoir que Montréal attendait avec fébrilité les résultats de sa mise en candidature à titre de ville hôte des jeux.
Ce même numéro comptait d’ailleurs cinq autres articles couvrant le sujet, c’est donc dire l’importance de l’événement. Mais quelle est l’histoire des jeux gais et même, de la couverture sportive dans les publications LGBTQ ?
Petite histoire des jeux gais
On pourrait croire que le concept des jeux gais est une création récente, alors qu’il remonte plutôt au début des années 80. En effet, dès 1982, une première compétition se déroule à San Francisco sous l’égide de Tom Waddell, un médecin et décathlonien qui souhaite déconstruire les clichés associés aux personnes queers et offrir un espace de compétition où chacun peut exprimer ouvertement son identité. La règle cardinale étant de miser, avant toute chose, sur le respect de l’autre.
L’événement se déroule du 28 août au 5 septembre 1982 et s’ouvre sur une performance de Tina Turner. Il réunit 1 350 athlètes, représentant 170 villes, autour de 16 disciplines : basket-ball, billard, quilles, cyclisme, plongée, golf, marathon, culturisme, haltérophilie, football, softball, natation, tennis, athlétisme, volley-ball et lutte (ce nombre s’élève maintenant à plus de 30). Comme aux Olympiques, une grande vasque y est embrasée, mais cette fois-ci à l’aide d’une torche qui a traversé tout le territoire des États-Unis à partir de New York, lieu emblématique des émeutes de Stonewall.
Trois semaines avant la tenue des jeux, l’événement doit cependant changer de nom puisque l’expression « Gay Olympics » (Olympiques gais), jusqu’alors utilisée, est contestée par le Comité international olympique (CIO) qui intente une poursuite, arguant un droit exclusif d’utilisation. La Fédération des Gay Games (FGG) n’a alors pas d’autre choix que de mettre au rebut une grande partie de son matériel publicitaire, notamment les affiches qui devaient placarder la ville. À noter que jusqu’alors, le terme « olympique » était utilisé à toutes les sauces, des « California Police Olympics » jusqu’aux compétitions de rats ou de cafards.
Bien que fondée en droit, l’indignation soudaine du CIO était sans doute alimentée par une association non souhaitée avec les communautés LGBTQ qui, semble-t-il, est plus agaçante qu’avec des policiers, des rats ou des cafards.
Les Gay Games soulèvent un intérêt immédiat dans les publications LGBTQ québécoises et, entre 1982 et 2004, on retrouve d’ailleurs 90 articles abordant le sujet. Dès 1982, la revue Sortie y consacre deux titres : « Les jeux gais » (octobre) et « Bienvenue aux Gay Games » (novembre). Le Canada récolte quelques récompenses dont deux au Québec avec Gilles Desgagnés qui remporte une médaille d’or au plongeon dans la catégorie 1 m et une seconde pour le 3 m. Il faut par ailleurs noter qu’il n’est pas rare que des records du monde y soient établis, comme ce fut le cas en 1990, lorsque le nageur étatsunien Michael Mealiffe y a battu le record du monde au 100 m papillon.
Les Gay Games se déroulant tous les quatre ans, la fréquence des publications suit celle des compétitions : « Gay Games et l’Afrique du Sud » (Sortie, juin 1986) ; « Célébration 90 : troisièmes Jeux gais et festival culturel » (Treize, avril 1990) ; « Nos athlètes à New York… » (juin 1994) ; « Félicitations à nos médaillés ! » (août 1994) ; « Les Québécois reviennent d’Amsterdam avec 18 médailles » (octobre 1998) ; « Gay Games à Hong-kong : un témoignage de la diversité » (novembre 2023) et ainsi de suite.
À noter que le sujet est absent de la presse grand public québécoise jusqu’au 3 février 1984, où une première mention apparaît dans le Montreal Gazette : « Gay Games can’t be called ’olympics’ ». Du côté de la presse francophone, cet honneur semble revenir au Devoir, le 30 novembre 1992, dans un reportage sur le culturiste James Michael Lavigne, où est évoquée la médaille d’argent remportée dans la catégorie poids moyen de la troisième édition des jeux : « James et le sida ».
Gay Games versus Outgames
Dès 1995, le nom de Montréal est évoqué à titre de ville hôte pour 2002 : « Les jeux gais à Montréal en 2002 ! » (novembre 1995). Grande déception puisqu’une autre ville est sélectionnée : « Les jeux de 2002 : frénésie ! excitation ! déception… les jeux gais de 2002 auront lieu à Sydney, Australie » (décembre 1997). Il faut cependant noter que le Canada (Vancouver) avait déjà accueilli les jeux en 1990 et que la FGG cherchait à arborer des couleurs plus internationales, à l’instar de la ville d’Amsterdam qui avait été choisie en 1998. Ce n’est cependant que partie remise puisque Montréal vise dorénavant les jeux de 2006 : « La candidature de Montréal pour les Jeux gais de 2006 : les jeux sont faits » (novembre 2001).
Montréal est finalement sélectionnée, mais un vigoureux bras de fer se met en place au regard de la taille des jeux et du contrôle que souhaite exercer la FGG sur le budget qui, rappelons-le, était financé en partie par des fonds publics. En novembre 2003, Montréal signifie son intention de tenir l’événement même sans l’assentiment du FGG, qui lui retire immédiatement sa sanction et tourne son choix vers Chicago : « Les jeux de 2006 : chronique d’une rupture annoncée » (décembre 2003).
Montréal se retourne en un clin d’œil et annonce la tenue des premiers World Outgames qui se dérouleront littéralement au même moment que les Gay Games, soit en juillet 2006 : « Les Jeux de Montréal 2006 deviennent les premiers Outgames mondiaux » (avril 2006). Cette première édition des Outgames accueille 10 250 athlètes issu.e.s de 111 pays et se révèle le plus grand événement sportif international organisé à Montréal depuis les Jeux olympiques de 1976. De son côté, les Gay Games attirent 11 500 athlètes en provenance de 70 pays. Malgré ce considérable succès, bien que déficitaire, la survivance de deux événements de facture quasi identique crée de nombreuses polémiques et divise les athlètes.
On ne compte que deux autres occurrences des Outgames avant leur dissolution en 2017. Naissance des groupes sportifs et d’un gala En septembre 1981, Le Berdache souligne l’intérêt de nos communautés pour le sport : 8« Le gai : un animal ludique ? ». Le thème de l’homophobie dans le sport professionnel est également très tôt abordé : « L’homosexualité dans le baseball » (Sortie, novembre 1982) ; « L’homosexualité dans le milieu sportif » (Sortie, janvier 1983).
Des groupes organisés font progressivement leur apparition au fil des disciplines sportives : « Ballon-volant : destination New York ! » (Sortie, mars 1983) ; « Le tournoi de quilles Québec-Montréal » (Sortie, décembre 1983) ; « Volley-ball Lambda » (mai 1991) ; « Lesbo… rtives s’organisent : un groupe de plein air à Montréal » (Treize, juillet 1994) ; « Des premières en nage synchronisée » (octobre 1995) ; « Bonheur maximum : une soirée de baseball gai » (août 1996). Dans la même veine, les activités et le gala sportif d’Équipe Montréal font rapidement les manchettes : « Le gala de la fierté sportive » (juillet 1995) ; « Le bonheur est dans le gymnase (la piscine, l’aréna, le court, etc.) ; « La famille sportive continue de grandir : Équipe Montréal accueille quatre nouveaux groupes » (mai 2001).
Ailleurs dans l’actualité
Le 24 novembre 1956, Ici Montréal pose une question existentielle — « La lutte entre femmes est-elle disgracieuse ? Oui, mais pas plus que la lutte entre hommes » — dans un article qui évoque l’homosexualité des hommes et des femmes qui pratiquent ce sport. En juillet 1976, la revue Ovo Photo présente des photographies de Pierre Gaudard, consacrées à la sexualité des prisonniers et à leurs activités, incluant le sport : « St-Vincent de Paul, prison de Laval (sécurité super maximum) ». À noter que le Ici Montréal du 6 novembre 1954 titre, au sujet de Saint-Vincent-de-Paul : « L’homosexualité, un problème moins grave dans les prisons ».
En 1924, un nouveau journal jaune fait son apparition — Police gazette — dans lequel l’homosexualité est évoquée. Le 9 novembre, on a droit à des ragots (« Échos de Fifiville et de Tapette village ») et à un article sur les descentes de police dans des bars interdits (« Les clubs où la police… »), alors que le 16 on publie un poème qui ridiculise l’amour entre hommes (« L’amour pantonique d’une tapette »).
À nouveau le 6 novembre 1954, Ici Montréal fait une mise en garde indiquant que : « On vient d’ouvrir rue St-Denis un nouveau club de lesbiennes sous l’apparence d’un salon de coiffure ». Finalement, le journal se scandalise le 2 novembre 1957 : « Elles travaillent encore là : deux lesbiennes surprises sur un pupitre, enlacées, bouche à bouche, à Radio-Canada ». Le 17 novembre 1961, la page frontispice du Nouveau journal titre que : « La police brise un réseau de photos pornographiques : raid dans un studio culturiste de la rue Notre-Dame ». Nul doute que les photos saisies au Studio Caruso Physical Culture se limitaient sans doute à des hommes légèrement vêtus. Le Berdache est disponible sur le site des Archives gaies du Québec (https://agq.qc.ca/le-berdache/).
Note : Lorsqu’une référence ne précise pas le titre du périodique associé à un article, c’est qu’il s’agit de Fugues et lorsque le mois n’est pas mentionné, c’est qu’il s’agit de novembre.
Pour plus de détails sur l’histoire des jeux gais :
Gay Games : https://www.gaygames.org/
Outgames : https://en.wikipedia.org/wiki/World_Outgames
et https://montreal2006.info