Lundi, 10 février 2025
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    Je vous salue, Jean Genet, ange de bonté… : « Genet » et « La chaste vie de Jean Genet »

    René de Ceccatty, dans un texte qui accompagnait l’exposition sur Jean Genet organisée par le Musée des Beaux-Arts de la ville de Tours, en France, et édité dans un magnifique album intitulé simplement Genet, écrit fort pertinemment que l’auteur du Miracle de la rose n’est pas un penseur de la sexualité — pas plus qu’il n’est un penseur de la politique —, mais un poète de la sexualité.

    Ses points de vue, que ce soit sur la pédérastie (tel est le terme qu’il employait pour parler de l’homosexualité) ou la politique (on connaît ses engagements, entre autres, pour les Black Panthers et les Palestiniens), doivent être lus à la lumière de la littérature, la littérature comme source d’affects, comme système poétique par lequel la réflexion se transforme, se radicalise afin de demeurer à la fois insituable et inutilisable. Le poids de la réalité et le poids des mots s’équivalent chez Genet et éloignent alors toute confrontation comme toute justification.

    C’est peut-être à l’aune de ce système poétique, qui fait habiter, comme le note encore René de Ceccatty, dans cette œuvre amoureuse de la langue fantasmes et fantômes, qu’il faut lire La chaste vie de Jean Genet de Lydie Dattas, autobiographie poétique tout autant que roman et essai poétiques.

    Avec un parti pris rhétorique extrême, qui file la métaphore et multiplie les oxymorons, Dattas, par ailleurs elle-même poète et auteure de La nuit spirituelle et L’expérience de la bontés — titres qu’on n’a pas besoin d’expliciter —, procède à une véritable captation : elle arrache Genet de l’enfer du blasphème et du scandale, se l’approprie tout entier pour l’entrer — de force ? — dans la cosmogonie qu’elle a élaborée depuis son livre La vie des anges.

    Elle le ravit, l’emporte avec elle, en fait un objet séduisant de bienveillance et d’intelligence, un être insaisissable comme de l’eau et léger comme les nuages, prêt à monter au ciel et à se placer à côté de Dieu. Elle se permet cette audace d’autant plus qu’elle a connu Genet, et se lance ainsi tête baissée dans l’hagiographie. Autant Jean-Paul Sartre (qu’elle traite de « gnome des Lettres »), avec Saint Genet, comédien et martyr, se livrait à une solide psychanalyse existentielle de l’auteur du Journal du Voleur, autant Lydie Dattas propose une légende dorée et christique de sa vie. Si on n’accepte pas cet arbitraire de l’écrivaine, il vaut mieux abandonner son livre, car on le trouvera aussi abominable qu’insupportable.

    Il est vrai que Lydie Dattas ne se méfie pas de ses tournures littéraires, qui chutent très souvent dans un style fleuri qui la rapproche des grenouilles de bénitier. Elle fait toutefois le pari que son éloquence poétique convient à sa conception de la vie d’homosexuel, de voleur et de traître qu’était Jean Genet et que cette éloquence doit se confondre, pour la rendre plus éclatante et évidente, avec la figure de l’innocence et de la sainteté que représente cet écrivain, qui connaît dans les prisons l’illumination qui le conduira sur les chemins de la chasteté et de la bonté. Qu’il s’agisse du Condamné à mort, de Querelle de Brest ou des Paravents, c’est une œuvre spirituelle, semblable «au ciel de Pâques», que nous livrerait donc Genet.

    Genet / Collectif. Tours: Musée des Beaux-Arts de Tours

    Une phrase de l’auteure permet de comprendre le point de départ de cette interprétation glorieuse : «La chasteté est moins l’abstinence que la grâce de laisser tout ce qu’on touche d’une pureté de neige : la surnaturelle impossibilité de souiller la vie quoi qu’on fasse.»

    Et une autre pour donner une idée de son écriture : «Genet macérait en prison quand il apprit que le détenu de la cellule voisine avait été enfermé à Mettray à l’âge de douze ans. S’éprenant de l’ange de sa jeunesse, il lui ouvrit les portes d’un second livre, Miracle de la rose. Plaçant celui-ci sous la garde de Saint-Just, il mit en exergue sa proclamation de dieu guillotiné : «Je défie qu’on m’arrache de cette vie indépendante que je me suis donnée dans les siècles et dans les cieux». Puis, à l’intérieur du reliquaire de son livre, enveloppé dans la panne de velours de ses mots, il déposa le plus tendre de son cœur. Se souvenant des grands marronniers de la Colonie, il recueillit leurs fleurs roses dans le tablier de ses phrases.»

    En adoptant cet art de la persuasion, Dattas fait de l’insoumis sulfureux un ange de bonté et raconte «l’histoire d’une âme». Ainsi, parfois très beau et émouvant, La chaste vie de Jean Genet veut dévoiler une part secrète et profonde de l’écrivain. En l’installant sous une lumière inattendue, c’est-à-dire angélique et utopiste, Lydie Dattas veut le rendre radieux et doux. Elle nous transmet un testament prophétique et biblique, répandant les mots de Genet sur le sable et la mer, les lançant vers les étoiles et le ciel.

    Son livre est celui de la ferveur, inspiré par un amour qui ne connaît ni la duperie ni le calcul. C’est également un livre excessif dans sa conviction et provocateur dans sa générosité. Un évangile sur le désir et la beauté — qu’on acceptera ou rejettera.

    La chaste vie de Jean Genet / Lydie Dattas. Paris: Gallimard, 2006. 215p.

    Genet / Collectif. Tours: Musée des Beaux-Arts de Tours; Éditions Farrago, 2006. 319p.

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