Dominique Fernandez est une figure actuelle très connue de la littérature française, à l’activité créatrice impressionnante. Romancier, mais également essayiste et critique, son nom a été retenu par le milieu gai en raison de L’Étoile rose (1978), qui devint dans les années 1980 un livre culte.
C’était un roman qui avait pour but de défendre et d’illustrer l’homosexualité en dénonçant les préjugés les plus primaires contre les homosexuels et leur mode de vie. Ce livre généreux, ardent, emporté est ainsi resté longtemps pour beaucoup de jeunes hommes un livre de chevet, un passeport pour la délivrance et l’apaisement. Parmi les essais les plus connus de l’auteur, on peut noter Le Rapt de Ganymède (1989), qui fait le tour des œuvres littéraires et artistiques où s’atteste l’homosexualité.
Cet écrivain est le fils d’un autre écrivain qui a été lui aussi fort connu avant 1944 (année de sa mort, à 50 ans) et qui a provoqué scandale. Longtemps, Dominique Fernandez a eu honte de son père, Ramon. D’origine mexicaine, Ramon Maria Gabriel Fernandez de Artéaga était une célébrité dans le milieu germanopratin d’avant-guerre.
D’une grande beauté avec sa carrure et ses cheveux gominés, toujours tiré à quatre épingles, danseur de tango qu’il a introduit en France, séducteur, passionné de voitures de sport, il était l’homme de lettres par excellence, cultivé et brillant. Fréquentant toutes les sommités littéraires de l’époque, de dîners en salons, il a connu Arland, Bernanos, Cocteau, Mauriac, Martin du Gard, Montherlant, Malraux, Paulhan. Il a écrit des livres profonds, en particulier sur Gide et Proust (qu’il a rencontrés). Animateur de colloques, il était d’une intelligence étourdissante, et sa plume était lumineuse. Sauf que ce père, d’homme de gauche et socialiste qu’il était, est devenu droitiste et collaborateur sous Vichy.
Dominique Fernandez tente dans ce livre, qui se veut exhaustif, d’éclairer cette figure, honnie après la Libération et qui n’est même pas citée dans les histoires de la littérature française. Pourquoi et comment s’est-il fourvoyé? se demande l’auteur.
À la fois enquête et biographie, mêlant confidences et explications de texte, Ramon est une sorte de livre d’expiation. Le fils trace le portrait d’un paria, en appelant à sa rescousse toutes les ressources matérielles (livres, journaux, carnets, etc.) possibles et imaginables, et en faisant également confiance à ses intuitions, dont la plus évidente pour lui est l’homosexualité de son père.
Il la voit à plusieurs signes, dont un premier roman qui ne fut jamais publié, Philippe Sauveur, où le personnage principal est un inverti (comme on désignait un homosexuel à l’époque), roman assurément influencé par le Corydon d’André Gide. Pour Dominique, son père était trop un homme à femmes pour ne pas être un homosexuel refoulé, homme qui avait, en plus, une mère possessive.
Il creuse un mystère, essaie de trouver une réponse claire à une énigme qui, pourtant, ne pourra jamais être complètement déchiffrée, malgré ses recherches et analyses gigantesques. L’auteur zigzague, recoupe les années, cite parfois longuement des carnets et des pages de livres, prend tous les moyens potentiels, quitte peut-être à se tromper dans ses interprétations.
C’est que pour lui, il en va aussi de sa vie et de son œuvre dont il devine qu’elles dépendent de ce tourment : avoir eu un père tombé dans le déshonneur, l’infamie, la traîtrise. Tous les livres que Dominique Fernandez a écrits – et ils sont nombreux – n’ont peut-être eu pour lui que cette seule nécessité (ou cette seule hantise) : comprendre sa propre identité.
Ramon / Dominique Fernandez. Paris: Grasset, 2008. 816p.