Samedi, 26 avril 2025
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    André Dessaix et Robert Gide : “ARABESQUES” de Robert Dessaix

    Ceux qui auront déjà lu Robert Dessaix ne seront pas surpris par Arabesques, son plus récent livre traduit en français, tant sa manière de raconter atteint ici la perfection, nous rassurant que nous entrerons de nouveau dans un univers singulier, à la fois distingué et un peu fou, et dont la construction, toute en trompe-l’œil, sera d’une savante ironie et d’une expression émouvante. On le sait, pour Dessaix, raconter la vie des autres, c’est se raconter. 

    Ainsi en est-il de son livre précédent, L’amour de toute une vie (Mercure de France, 2005) dans lequel il mettait ses pas dans ceux de Tourgueniev, romancier russe qu’il connaît profondément pour avoir écrit une thèse sur lui. Il nous entraînait dans un voyage tout à la fois littéraire, sentimental (Pauline Viardot, l’amour de Tourgueniev) et géographique (la Russie et la France). Mais chez l’auteur australien, parler des autres, c’est parler de soi. Et c’est ce qu’il n’a jamais cessé de faire depuis son premier livre, Une mère et sa honte (Le Reflet, 1999 et Le Livre de poche, 2000).

    C’est une méthode d’écriture, et la sienne ressemble à celle d’un conte, qui n’a peut-être rien de féérique (la réalité dément toujours tous nos espoirs), mais qui s’avère une merveille narrative. Avec Arabesques, c’est donc vers André Gide qu’il nous conduit. Il marche derrière lui en commençant par Tanger, pour se retrouver ensuite au Maroc, au Portugal, à Naples et en Normandie, nous laissant le découvrir, lui, Dessaix, plutôt que Gide.

    L’écrivain de la Symphonie pastorale est un prétexte, et Dessaix le sait bien, n’ayant, par exemple, pas l’attirance de Gide pour les jeunes garçons. Le lecteur sent au cours de sa lecture que la grande affaire est de savoir comment vit un écrivain. Un écrivain ne vit pas comme les autres — encore moins s’il est pédéraste, se dit-on —, et pour le comprendre il faut probablement être soi-même écrivain, c’est-à-dire : être exigeant et sensible, soucieux de transcrire le réel, de ne pas tricher avec soi et, les voyages avec des amis aidant, de se regarder dans le miroir des autres. Arabesques est aussi une confession.

    Comme il l’a déjà fait, l’écrivain organise ses promenades dans différents pays en alternant scènes narratives, passages de réflexion, instants de rencontres et interruptions chronologiques qui permettent des digressions qui ont l’apparence de fables. Et les digressions pullulent dans Arabesques. Dans ce titre se trouve le mot «arabe», qui nous renvoie aux Mille et une nuits; Dessaix se fait Schéhérazade pour nous en mettre plein la vue avec sa loquacité concise, lucide, dense, variée, drôle, jamais pédante. Ces digressions donnent au livre sa richesse foisonnante; plus même : elles en sont sa matière essentielle. L’esprit vagabond de Dessaix est ainsi pénétrant et son style, par sa liberté, sa nouveauté, devient fascinant. Car comment qualifier ce livre?

    Depuis Une mère et sa honte, je me posais la question du genre qu’il pouvait pratiquer. Ni récit, ni autofiction, j’ai décidé de dire que son œuvre tenait de la fiction-vérité (comme on dit : cinéma-vérité). Par ses interactions, ses coupures, ses associations, Arabesques est ainsi un exercice d’affinités qui doit révéler Gide, mais comme l’écrivain est frivole par rapport à la structure de son récit et fébrile dans sa quête d’une vérité, et tout en n’oubliant pas de dissoudre pas mal de préjugés sur l’écrivain français, c’est sa vérité à lui qui est révélée avant tout.

    Il fait appel à ses amis voyageurs qui, dans une mise en scène organisée qui en fait des personnages, l’aident à poursuivre sa flânerie littéraire; ils provoquent ses élans, ses emportements, sa parole. Et quelle parole! Délicate et soignée, délicieuse et capricieuse, vigoureuse et harmonieuse — si profuse et sinueuse qu’elle semble ne jamais pouvoir s’arrêter. Et c’est ainsi qu’en fermant le livre, on est pris soudainement d’un regret de devoir quitter cet Australien si cultivé, si érudit, charmant et charmeur, qui, à force de vouloir mettre ses pas dans ceux de Gide nous donne l’impression que c’est Gide qui a mis les pas dans les siens.

    ARABESQUES / Robert Dessaix, traduit de l’anglais (Australie) par Marie-Pierre Bey. Paris: Mercure de France, 2009. 281p.

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