Samedi, 17 mai 2025
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    Rencontre avec Allen Altman, une star de la télé et du cinéma

    À la toute fin de notre rencontre, je lui demande à quel moment s’est fait le déclic d’accepter cette entrevue alors que depuis trois ans, c’était la valse-hésitation. Il me regarde et me dit: «Il y a quelques semaines, on s’est croisés sur la rue et je me suis dit: « It’s time to be who you are. Il s’est passé tellement de choses dans ma vie depuis les deux dernières années qu’on pourrait en faire une mini-série! Mais là, je me suis dit c’est le temps de mettre les choses au clair: je me trouve pas mal courageux! I should be proud of myself.» Oui, tu peux être fier, Allen!

    Lorsque j’arrive au lounge L’un et l’autre, en ce début de soirée de fin de septembre, il est là, bien installé devant un verre de vin. Moi, venant à peine de souper dans un resto asiatique, je lui offre le biscuit chinois que je n’ai pas pris le temps de découvrir. «Quoi? C’est pour moi?». Il casse le biscuit en deux et déplie le message à l’intérieur. Il le lit dans sa tête et sourit: «Ah! Ah! Oui, ça me concerne! Ça dit: Vous êtes de nature forte et sensible!»

    Je connais Allen depuis environ trois ans, depuis son retour de Toronto. Et je peux le confirmer, c’est un gars sensible. Un homme enjoué. Un bon vivant. Une belle gueule. Une grande gueule aussi! Il parle beaucoup! Il pensait que l’entrevue durerait 15 minutes. On a jasé pendant deux heures.

    Allen Altman Photo Mike Slobodian

    Au grand et petit écran
    Le biscuit chinois spécifiait de «nature forte». Allen est bien d’accord: «Faut être fort pour être comédien!» Il y a de fortes chances que vous ayez vu Allen au petit comme au grand écran. En français ou en anglais. Il cumule les rôles depuis sa jeune vingtaine. Des séries comme Paradise Falls (Showcase), Blue Moon (Club illico), Alys Robi (série écrite par Denise Filiatrault) au téléroman Les héritiers Duval (Radio-Canada) en passant par les films Incendies (Denis Villeneuve), il a incarné plein de personnages.

    Il a fait carrière au Québec, à Toronto et aux États-Unis (entre autres, dans les séries Missing et 4400). Il a même été acteur et danseur à l’émission Showbizz (Télé-Métropole) animée par Nicole Martin: «J’ai travaillé avec Céline Dion, Ginette Reno, Joe Bocan, France Castel, Michel Louvain…» Sa feuille de route (allez voir sur IMDB) est impressionnante! Du plus loin qu’il se souvienne, il a toujours rêvé de faire ce métier.

    Enfant, tu voulais faire quoi?
    Il parait que je voulais être comédien! Je n’ai pas vraiment de souvenir, mais ma mère me dit que je regardais le Sonny & Cher Show et que je les imitais. Il paraît que j’étais fou de Dominique Michel aussi. Je la trouvais tellement drôle!

    Parcours
    Allen est né à Casablanca de parents d’origine juive marocaine. Il est arrivé à Montréal à l’âge d’un an. Son père travaillait dans une usine de textile. Sa mère était styliste.

    «Elle a habillé Lucien Bouchard et plusieurs autres ministres.»

    Élevé dans une famille francophone, il a étudié dans des programmes bilingues. À l’université, il s’inscrit en communication. «J’étais modèle à ce moment-là. Je faisais de la pub. Et à un moment donné, j’ai obtenu un contrat d’un an au Japon. Les Japonais trouvaient que je ressemblais à Keanu Reeves. On m’arrêtait dans la rue pour me le dire!»

    Allen dans Paradise Falls

    À son retour, il abandonne les cours en communication et s’inscrit au bac en psychologie. Mais ce qui l’intéresse avant tout, c’est le jeu, la télé, le théâtre, le cinéma. «Mes parents étaient découragés de voir que je voulais être modèle et ensuite acteur.» Mais il est entêté, cet Allen. Et il a une idée en tête: devenir comédien. Il s’inscrit finalement au Lee Strasberg Theatre and Film Institute à New York. «Ensuite, j’ai été choisi pour faire partie d’un atelier à l’Actors Studio.»

    C’est dans ces mêmes années, alors qu’il a près de vingt ans, qu’il fait son coming-out auprès de ses parents.

    Comment tu leur as annoncé?
    Je leur ai dit que je déménageais avec mon ami. Ils m’ont dit: «Bonne idée! C’est vrai que ça coûte cher vivre en appartement tout seul.» J’ai précisé: «On a juste un lit et on dort ensemble.» Pendant les trois années qui ont suivi, mes parents et moi, on ne s’est pas parlé. Après, ça s’est rétabli.

    Tabou
    Il y a trois ans, quand j’avais offert à Allen de l’interviewer pour les pages de ce magazine, il avait refusé. Il n’était pas prêt à parler publiquement d’homosexualité.

    Pourquoi tu acceptes d’en parler aujourd’hui?
    J’ai vécu des choses dans les deux dernières années qui m’ont ouvert l’esprit et qui m’ont amené à être plus authentique. J’ai toujours été authentique dans mon travail mais pas toujours en ce qui concerne ma vie personnelle.

    Allen a eu un cancer il y a deux ans. C’est le genre d’événement qui bascule une vie.
    À cause de la chimio et des radiations, j’ai eu un saignement au cerveau. J’ai dû subir une chirurgie. Tout est parfait aujourd’hui! Même mieux qu’avant! Mais j’en n’ai pas parlé publiquement. Dans mon milieu professionnel, on ne parle pas vraiment de ça.»

    L’autre grand tabou dans le milieu des comédiens et comédiennes: l’homosexualité. Ici, j’ouvre une parenthèse.
    Depuis plusieurs années, je trippe fort à rencontrer des personnalités québécoises gaies, lesbiennes, queers, pour faire leur portrait que je publie dans Fugues. Car pour moi, ces personnalités méritent autant que celles hétérosexuelles de parler de leur vie autre que professionnelle. Sans tabou. Et depuis des années, je remarque à quel point c’est difficile de convaincre comédiens et comédiennes gai.es d’accepter mes offres d’entrevue, comme si, le jour où on apprenait qu’ils sont homosexuels, leur carrière serait finie à jamais.

    Allen a vécu ça aussi, à sa façon: «J’ai un peu honte de dire que j’ai écouté les Qu’en-dira-t-on autour de moi. Tout le monde était au courant de mon homosexualité, mais on me disait de ne pas en parler.»

    Comment tu vivais ça de devoir le taire?
    Quand j’ai commencé ma carrière à Montréal, je me cachais pas du tout. Mais ensuite, il y a 20 ans, je suis déménagé à Toronto pour me donner de nouveaux défis. Et là-bas, j’ai acquis un niveau plus haut de succès.

    Selfie sur le plateau de Blue Moon avec Karine Vanasse

    À Toronto, est-ce que les journalistes te posaient des questions sur ton orientation sexuelle alors que tu étais plus discret sur le sujet?
    J’ai honte de ce que je vais te dire. À un moment j’avais beaucoup d’entrevues. J’habitais avec mon chum et… je le faisais sortir de la maison avant l’arrivée du journaliste! Il m’a rappelé ça, il n’y a pas si longtemps. J’avais peur de perdre mes contrats. C’est une crainte réelle quand t’es sur un gros projet. La peur que le public l’apprenne et te juge.

    Mais d’où vient cette crainte?
    Ça vient de certaines personnes autour de toi! Qui? Les gens qui s’occupent des relations avec les médias, les gens en charge de ta carrière. Moi, je voulais être ouvert. Et on me disait non. Maintenant, je m’en fous.»

    Le biscuit chinois l’avait dit: «vous êtes de nature forte». Assez pour parler publiquement aujourd’hui, sans avoir l’accord à 100% de ses deux agentes.
    «Mon agente à Toronto a 72 ans. Elle s’en crisse. Elle me trouve bon. Mon agente ici à Montréal est super ouverte. Oui, elle a dit que c’est mieux d’être discret. Mais bon, je ne l’ai pas écoutée. On verra. C’est ma vie, c’est ma carrière.»

    Wow! Tu veux!
    Ça fait longtemps que ça me buggait. Alors je me suis dit: pourquoi ne pas en parler honnêtement? Et c’est comme ça que j’en suis venu à cette décision! Et je suis fier de faire ça avec toi. Tu fais des profils de personnalités. Tu documentes la réalité. C’est inspirant.»

    On lève notre coupe de vin et on trinque! Il ajoute: «J’avais aussi envie de servir d’exemple. Pas parce que je suis meilleur que les autres, mais si je peux inspirer des jeunes qui commencent dans le milieu, tant mieux.

    Si un jeune comédien se pose la question, tu lui dirais que c’est ok d’être out?
    Non! Je dirais non!

    (Me suis presque étouffé avec ma gorgée de vin!) Ouch! Pourquoi?

    Le monde est en changement, mais on n’est pas rendu là. Tu peux être activiste OU comédien. Moi j’ai choisi d’être comédien. Mais là, je suis plus âgé et je suis prêt à en parler.

    Le fait d’être gai et d’en parler publiquement, c’est de l’activisme? Même en 2019?
    Je pense que oui. Juste en en parlant, je fais un commentaire sur la société, sur ma vie, sur comment j’ai vécu les choses.»

    Allen, j’apprécie ton franc-parler. Cette discussion ouverte et franche me force à croire qu’il reste encore bien du chemin à faire pour permettre aux minorités sexuelles de s’épanouir dans leur milieu de travail sans crainte de perdre des contrats. Même dans le milieu culturel.

    Après ton combat contre le cancer, je te sens en pleine forme pour te relancer dans ta plus grande passion: jouer des rôles, être comédien. Je te souhaite des personnages à la hauteur de tes attentes. T’as encore plein d’espaces disponibles sur ta page IMDB!

    Tu sais, j’ai réécouté l’enregistrement de notre rencontre de deux heures en me demandant comment je pourrais terminer ce papier. Et je n’ai pu trouver mieux que par tes propres mots:

    «Il faut que je vive ma vie comme je la vois moi, et je trouve que c’est quelque chose de très beau d’être qui je suis!»

    Allen Altman durant la semaine de la mode à Toronto, en 2015

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