L’ironie LGBTQ+ au travail

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Samuel Larochelle / Photo : Sandra Larochelle
Samuel Larochelle / Photo : Sandra Larochelle

L’ironie me saute aux yeux comme un bébé labrador apercevant sa gamelle. Après des décennies à traiter les personnes LGBTQ+ comme des parias qui feraient mieux de s’enfermer dans le placard, le monde du travail survit — parfois sans le savoir — grâce à leur dévotion.

D’emblée, un rappel s’impose : plusieurs personnes queers continuent de cacher leur orientation sexuelle ou leur identité de genre à leurs collègues, de peur d’être ostracisées, renvoyées (sous d’autres fausses raisons), enfermées dans un carcan de stéréotypes, non considérées pour des promotions ou parce qu’elles ont intégré l’idée qu’elles ne devraient pas parler de leur vie affective au travail, même si leurs vis-à-vis hétéros cisgenres y parlent abondamment de leurs amours, de leur famille et de leur vie intime. Certains milieux continuent de ralentir la marche vers l’ouverture et l’inclusion. Néanmoins, les choses ont énormément changé au cours des dernières décennies. Les personnes LGBTQ+ qui s’assument pleinement au boulot occupent une place en croissance.

C’est ici que l’ironie se déploie. Après des décennies à laisser la queerphobie polluer leurs espaces, les organisations professionnelles auraient intérêt à engager des personnes issues des communautés queers. Pas seulement pour diversifier leurs équipes et ainsi profiter d’une multiplicité de points de vue, afin d’être plus productives et plus rentables — deux réalités scientifiquement prouvées depuis des lunes — mais aussi parce que les LGBTQ+ ont souvent plus de disponibilités à offrir que les hétéros-cisgenres.

La raison est simple : la proportion de familles homoparentales est encore minuscule. Les dernières statistiques sur le sujet datent un peu trop à mon goût, mais voyons voir : en 2016, le Québec comptait environ 2175 familles composées de parents de même sexe, une augmentation de 123 % depuis 2006. Sachant que l’homophobie diminue d’année en année, que l’adoption homoparentale se normalise peu à peu dans l’imaginaire collectif, que de plus en plus de parents queers adoptent ou font appel à des femmes porteuses et que l’encadrement légal de cette dernière pratique est en cheminement, un nombre grandissant de personnes queers voudront avoir des enfants. J’ai d’ailleurs vu autour de moi — parmi mes proches et mes collègues — cinq couples queers devenir parents au cours des dernières années. Mais puisque les personnes LGBTQ+ représentaient 0,2 % des parents en 2016, rien n’indique que ce pourcentage sera multiplié par 10 dans un avenir à court terme.

Ainsi, toutes proportions gardées, les queers deviennent moins souvent parents que les hétéros-cisgenres. Comme la parentalité implique des congés permettant aux parents de s’impliquer le plus possible dans les premiers mois de leurs poupons, cela engendre des remplacements dans leurs milieux de travail, de la formation supplémentaire, un partage des tâches, une fatigue accrue des collègues et une potentielle diminution de la productivité. Par la suite, les parents devront composer avec des années de microbes en garderies et prendront des heures ou des jours de congé pour s’occuper de leur progéniture. Dans les années suivantes, cet absentéisme parental sera causé par de multiples raisons liées aux enfants. Et parfois répété au fur et à mesure que la famille s’agrandira.

Je suis fier des choix que le Québec a faits pour soutenir les familles. La société a besoin d’enfants, de parents dévoués, de personnes prêtes à sacrifier leur sommeil, leur énergie, leur concentration, leurs temps libres et leur mode de vie pour accueillir de nouveaux humains, les protéger, les chérir, les éduquer et en faire des citoyen.ne.s respectables. J’ai une admiration sans bornes pour mes proches qui jonglent avec la parenta-lité, le travail, leur vie sociale et les autres sphères de leur quotidien. Je ne sais pas si j’aurai un jour leur force, leur détermination, leur courage et leur capacité d’abnégation. Je suis peut-être encore trop égoïste pour faire passer les besoins d’autrui avant les miens.

Toujours est-il que mes comparses queers et moi-même avons, en général, plus de temps à notre disposition. Nous ne sommes pas de meilleures personnes que les hétéros-cisgenres pour cette raison. Nous avons des défauts. Nous prenons aussi des vacances et des congés maladie. Mais nous sommes parents en plus petit nombre. Nous prenons moins de congés parentaux.

Nos horaires ne sont pas bouleversés par les enfants malades. Nous pouvons faire des heures supplémentaires, rester plus tard le soir ou faire un projet en extra le week-end sans détruire notre routine familiale. Notre charge mentale n’est pas accaparée par les lunchs, les devoirs, les bains, les cours, les fêtes chez les ami.e.s (avec le cadeau à offrir), les vacances à prévoir, les vêtements à acheter, le développement affectif et humain à encadrer. Bref, si les parents — peu importe leur orientation sexuelle et leur identité de genre — doivent être des superhumain.e.s pour concilier travail et famille, les non-parents — largement représentés dans les communautés LGBTQ+ — ont la possibilité de déployer toute cette force au boulot s’iels le désirent.

Ajoutons à cela la quantité folle de personnes queers qui ont besoin — souvent inconsciemment — d’exceller et d’être surproductives pour compenser les années à se sentir inadéquates en raison des vieilles mentalités, et vous comprendrez que le monde du travail bénéficie largement de leurs talents et de leur temps.

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