La fin d’une année et le début de la nouvelle sont souvent synonymes d’un temps d’arrêt pour évaluer les événements marquants, mais également les gains comme les défaites. Un article du Fugues de 1993 illustre bien cette tradition (« Revue de presse 1993 : 1re partie »). Mais à quel moment ces revues de l’année ont-elles débuté dans les magazines LGBTQ du Québec et quels autres événements ont marqué le mois de décembre ?
Le premier magazine destiné aux communautés gaies du Québec est Le Tiers, en 1971, soit deux ans à peine après la décriminalisation de l’homosexualité au Canada. Il faut cependant attendre 1978 pour qu’une véritable revue des événements LGBTQ de l’année fasse son apparition dans les pages d’un magazine, soit dans Gai(e)s du Québec, en février 1979 (« C’est arrivé en 1978 ! »). Le Berdache prend ensuite le relai avec des titres qui sont parfois emblématiques des enjeux en place : « 1979, une année bien remplie », février 1980 ; « Petit calendrier de la répression », février 1980 ; « Rétrospective 1980 », février 1981.
Il faut par la suite attendre 12 ans, soit en 1993, pour que Fugues reprenne le flambeau de cette tradition, et ce, sans jamais discontinuer depuis. Pourquoi une si longue pause ? Il faut comprendre que la rédaction d’une revue des événements de l’année n’est pas une mince affaire puisqu’elle implique, à une époque où Internet tenait encore de la science-fiction, de retracer et d’évaluer une somme astronomique d’informations dans des sources imprimées. Bonjour, les nuits blanches !
Seuls les magazines dotés d’une équipe très solide étaient donc en mesure de réaliser un tel exercice. Celui-ci est cependant fort intéressant, puisqu’il permet au lectorat de prendre la mesure du chemin parcouru et des enjeux qui sont toujours bien présents. C’est également le moment d’identifier les allié.e.s et les imbéciles qui le jalonnent toujours.
C’est dans cet esprit que, dès décembre 1981, dans Le Berdache, on retrouve une célébration de certains hommes et femmes qui se sont particulièrement illustré.e.s : « Adresse du Nouvel An. Nos champions : l’ADGQ couronne ses héros ». C’est en 1995 que Fugues prend le relai alors que Richard Burnett amorce la publication de son classement annuel des héros et des zéros. Cette chronique suscite tant d’intérêt et de curiosité que lors de la publication du numéro de décembre 2018 (« Year in Review : Heroes and Zeros of 2018 »), on souligne qu’il s’agit de la 23e édition consécutive du palmarès.
Censure douanière
En décembre 1985, deux articles de la revue Sortie nous rappellent à quel point la censure d’ouvrages ayant un contenu LGBTQ ne date pas d’hier : « La Commission des droits de la personne du Québec répond [Affaire The Joy of Gay Sex] » et « Copie conforme [Affaire The Joy of Gay Sex] ».
Cette histoire absurde débute en 1979 alors qu’une femme acquiert The Joy of Gay Sex (Les plaisirs de l’amour gai) dans une librairie du Manitoba alors qu’elle recherchait The Joy of Cooking. Outrée et probablement aveugle, elle dépose une plainte aux forces de l’ordre et la librairie Coles et Classic se voit sommée de retirer le titre sous peine d’être accusée de vendre du matériel obscène. La librairie obtempère, mais l’affaire se retrouve bien vite devant les tribunaux et sous les feux de l’actualité, puisque le Procureur général du Manitoba promet de poursuivre toute libraire qui vendrait ledit titre.
Au Québec, la cause se retrouve devant la Commission des droits de la personne et, en 1987, la librairie Glad Day et le Comité canadien contre la censure douanière décident de contester la décision des douaniers, en arguant que l’interdiction est basée sur la présence de passages décrivant des actes de pénétration anale alors que The Joy of Sex, sa contrepartie hétérosexuelle, comporte un contenu semblable et n’est pas interdite. Ce n’est qu’en 1989 qu’un juge décrète que le livre n’est pas obscène, soit 10 ans après la première intervention policière.
Un événement qui n’est pas sans rappeler les nombreux cas de censure, particulièrement aux États-Unis, mais également au Canada, à l’endroit d’ouvrages abordant les questions de genre, de l’homosexualité ou même de l’existence de l’esclavagisme dans l’histoire américaine.
Front de libération homosexuelle
En décembre 1970, la revue Mainmise consacre 17 pages à la publication du Manifeste du Front de libération homosexuelle, la traduction française de A Gay Manifesto écrit par l’activiste américain Carl Wittman. Ce texte eut un impact considérable sur l’émergence d’un discours revendicateur structuré à travers le monde et donna naissance à de nombreuses variations. En décembre 1978, par exemple, l’Association pour les droits de la communauté gaie du Québec annonce l’adoption de son manifeste et de son programme : Manifeste et programme de l’ADGQ (adopté le 30 septembre 1978), Gai(e)s du Québec.
Les toilettes publiques
En décembre 1980, Le Berdache consacre un dossier aux lieux de sortie, en dressant un inventaire et une évaluation des tavernes, espaces de cuir, discothèques, parcs urbains et des toilettes publiques (« Toilettes, closettes, bécosses » et « Cinq mois de toilettes publiques : un verdict »).
L’intérêt de relire le premier article est de prendre le pouls des lieux de baise rapide de l’époque, soit les toilettes publiques suivantes : Hôtel Le Reine Elizabeth, Galeries d’Anjou, Gare centrale, La Baie, place Bonaventure, place Versailles, complexe Alexis Nihon, Eaton, 2001, Université et plusieurs autres. Le tout s’accompagne d’une brève appréciation où l’on apprend notamment que les toilettes du 2001, rue Université sont les plus courues de Montréal : « On y retrouve de tout : voyeurs, exhibitionnistes, actifs, passifs. Les jeudis et les vendredis soirs, à partir de 16 heures, ça devient un endroit tellement fréquenté qu’il s’y trouve quelqu’un pour faire le guet pendant que vous passez à l’action. »
Dans le second article, un certain Pierre Boileau analyse les dossiers de la Cour municipale de Montréal sur une période de cinq mois et constate que toutes les dénonciations (58 au total) sont le fait de policiers en civil et que, de ce nombre, 47 sont le fruit de trois policiers qui agissent souvent de concert. Plusieurs extraits des rapports de police décrivent le modus operandi permettant d’hameçonner les hommes qui fréquentent les lieux.
Ailleurs dans l’actualité
Le Ici Montréal du 20 décembre 1952 rapporte que « Deux homosexuels se racontaient fleurette en automobile, rue St-Timothée » et précise que les deux hommes furent arrêtés sur le champ. Le 28 décembre 1957, le même magazine annonce que « Les “époux” Jean-Guy Tremblay et Frank Lanteigne, deux homos de Saint-Hyacinthe, sont incarcérés ». L’article précise que des voisins « bien intentionnés » ont dénoncé les hommes qui vivaient ensemble et que ces derniers ont été condamnés à des peines de prison.
De son côté, Flirt & Potins révèle que « Les motels sont devenus les repaires des lesbiennes et homos montréalais » (19 décembre 1970) et titre un fait surprenant, le 26 décembre de la même année : « Une lesbienne a fait de moi une ardente femme aux hommes ». On ne peut qu’être intrigué par la mécanique derrière cette conclusion. Parlant des plaisirs entre femmes, le Police Gazette du 28 décembre 1924 publie un poème sur ce sujet intitulé « Les baisers ».
Finalement, pour souligner les Fêtes, le 8 décembre 1943, la Revue moderne publie une nouvelle littéraire comportant de fortes thématiques gaies : « Le réveillon : ce qui arriva à un prisonnier nazi évadé, la veille de Noël, d’un camp d’internement ». Pour plus de détails, consulter le précédent article de Fugues à ce sujet : https://www.fugues.com/2020/12/16/decembre-a-travers-les-annees/
Le Berdache est disponible sur le site des Archives gaies du Québec
(https://agq.qc.ca/le-berdache/).
La revue Mainmise est accessible sur le site de BAnQ numérique :
https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2639773
Note : Lorsqu’une référence ne précise pas le titre du périodique associé à un article,
c’est qu’il s’agit de Fugues et lorsque le mois n’est pas mentionné, c’est qu’il s’agit de décembre.