Dans un autre film, l’histoire commencerait comme une comédie romantique : Faheem, étudiant cachemiri, offre un fruit à un inconnu — une pomme, symbole d’un désir naissant. Mais ici, le geste a lieu à un poste militaire. L’homme en uniforme, Karun, n’est pas n’importe qui : c’est un soldat indien affecté à la surveillance d’un point de passage dans la vallée de Gurez, tout près de la frontière pakistanaise. En quelques secondes, l’attirance s’impose, silencieuse, foudroyante, impossible.
Dans We Are Faheem + Karun, le cinéaste Onir, figure pionnière du cinéma queer indien (My Brother… Nikhil), mêle le désir et la géopolitique pour raconter une histoire d’amour condamnée d’avance — et pourtant irrésistible. Interprétés avec une intensité magnétique par Mir Tawseef (Faheem) et Akash Menon (Karun), les deux protagonistes incarnent bien plus qu’un simple couple interdit : ils portent sur leurs épaules la fracture historique de leur pays, celle de la religion, de la peur, et de l’appareil militaire qui contrôle les corps autant que les frontières.
Inspiré d’une histoire vraie, celle d’un soldat indien homosexuel, le film a bien failli ne jamais voir le jour. Le ministère de la Défense de l’Inde a d’abord refusé d’accorder à Onir l’autorisation de tournage, jugeant le scénario « dérogatoire » à l’image de l’armée. Le réalisateur a perdu ses bailleurs de fonds, ses partenaires de production, et même son équipe initiale. Trois ans plus tard, c’est pourtant avec émotion que We Are Faheem + Karun fait le tour des festivals de films LGBTQ, comme celui de Montréal — image+nation — où le film sera présenté le samedi 29 novembre.

Une œuvre courageuse, universelle
« Je voulais parler d’amour, pas d’institutions », confiait Onir en entrevue lors de la première du film en mars dernier à Londres. « Dans les régions déchirées par le conflit, on oublie souvent que les gens y vivent, aiment, espèrent. » En situant son film dans un village isolé de Gurez, bordé par les montagnes et les tensions armées, il oppose la simplicité du quotidien à la mécanique aveugle de la guerre. Son regard humaniste, empreint de poésie, subvertit les clichés du cinéma indien : ici, pas de héros virils ni de danse colorée, mais des gestes retenus, des regards volés, une tendresse clandestine.
Le film met de l’avant les thèmes chers au réalisateur : l’identité, la liberté, la dignité et la famille choisie. Dans ce décor où chaque baiser est un acte de résistance, Onir filme la beauté de la fragilité : deux hommes que tout sépare, mais que la solitude rapproche. En toile de fond, il montre aussi les conséquences psychologiques du militarisme et de la surveillance, qui font du désir un crime politique.
Les scènes entre Faheem et Karun, filmées avec pudeur mais une tension palpable, rappellent le cinéma d’Ang Lee (Brokeback Mountain) autant que celui de Wong Kar-wai. L’amour y est lumière et blessure, libération et piège. Onir y déploie une sensualité rare dans le cinéma queer sud-asiatique, refusant le voyeurisme au profit de l’émotion brute.
We Are Faheem + Karun s’inscrit dans une nouvelle vague de récits queer venus d’Asie du Sud, qui osent aborder l’homosexualité masculine sous un angle politique et intimiste à la fois. Pour un public québécois, le film résonne par sa capacité à concilier l’universel du sentiment amoureux et la spécificité d’un contexte culturel où aimer reste un risque.
Onir rappelle que l’amour, même interdit, demeure un espace de résistance. Dans un monde où les frontières continuent de séparer les corps et les peuples, We Are Faheem + Karun oppose à la peur une douceur intransigeante : celle du regard d’un homme vers un autre, à travers un mur, une ligne de contrôle, ou une simple pomme tendue — geste fragile, mais infiniment révolutionnaire.
INFOS : Ce film sera présenté dans la cadre du festival image+nation, qui se tiendra du 20 au 30 novembre 2025. Pour vous procurer des billets https://image-nation.org

