Parler de Priape, c’est un peu parler de l’histoire de la communauté gaie montréalaise, à la fois des droits de la communauté gaie et de l’évolution du Village.
Si trois amis décident d’ouvrir ce premier sex-shop gai, en novembre 1974, ils se voient confrontés bientôt à la police, aux douanes, aux règles sur les bonnes mœurs de l’époque.
À partir d’un simple magasin offrant quelques jeans, accessoires de cuir et des films érotiques gais – cette boutique a été la première à le faire à Montréal –, Priape s’est constitué avec le temps un véritable réseau lui permettant d’offrir ses produits Priape Wear dans une quinzaine de pays. De plus, grâce à la solide réputation que le magasin de Montréal s’est taillé auprès des nombreux touristes, il a été plus facile d’ouvrir des succursales très attendues à Toronto, à Calgary et, éventuellement, à Vancouver.
Priape, c’est aussi un appui à des organisations communautaires, une réalité que le président actuel, Bernard Rousseau, ne manque pas de souligner avec fierté, car il s’agit bien, à écouter l’homme, de solidarité et de dévouement à des causes qui lui tiennent à cœur, tels Divers/Cité, le Festival Image et Nation, le BBCM (Black & Blue), les organismes sida, etc.
En trente ans, Priape a commandité des événements ou des organismes pour plus de 2 millions$. Ce n’est pas rien. On serait tenté de dire, que reste-il donc à faire pour le Groupe Priape ? Pour faire le bilan des trente dernières années, il était incontournable de nous entretenir avec Bernard Rousseau, que nous avons rencontré dans un sympathique resto du Village.
Quels sont les meilleurs souvenirs de toute cette aventure ? Il y a plusieurs souvenirs, mais beaucoup sont plutôt de mauvais souvenirs, comme les nombreux décès, au cours des années. Un de mes beaux souvenirs, c’est certainement mon 1er voyage à Las Vegas, avec Robert Duchaîne, pour signer des contrats pour des droits de films. Au début, l’ouverture du Bloc aussi a été fantastique, mais il y a eu l’incendie par la suite qui est venu tout gâcher. Le Cinéma du Village est un très beau souvenir de réussite : il a tout de même duré dix ans, de 1984 à 1993. Je dois dire aussi que l’ouverture du magasin à Toronto, en 1993, a été merveilleuse. Nous n’avions que 600 pieds carrés et nous avions été littéralement envahis, c’était incroyable, il y avait des gens qui attendaient dehors sur le trottoir. C’était un très beau moment. Mais il y a eu aussi des moments comme la retraite du gérant, Gilles Chauvin, il y a deux ans. Cela n’a pas aidé et il y a eu un certain roulement de personnel avec le départ de Gilles. Heureusement, cela s’est stabilisé depuis. Mon plus gros down a été le décès de Robert (Duchaîne), en 2002. J’ai mis au moins un an à m’en remettre. Le 2 octobre dernier, j’étais à Toronto à ce moment-là, cela faisait exactement deux ans.
Depuis la toute première boutique, il y a eu toute une évolution chez Priape, êtes-vous satisfait maintenant de cette progression et que réserve l’avenir ?
Malgré les problèmes, j’aime trop Priape, et ce, même si je n’étais pas un investisseur au début. Oui, je suis heureux. Il y a eu beaucoup de changements entre les films (8 mm), le vidéo et maintenant le DVD, c’est extraordinaire l’évolution qu’il y a eu là depuis le début. Aujourd’hui, on a 43 employés. Ce n’est pas toujours évident de gérer cette entreprise — surtout de gérer à distance les autres magasins à Toronto et Calgary —, mais je suis heureux parce que les choses vont bien. Il y a la manufacture (Priape Wear), la vente au détail, en gros, des magasins, c’est excitant, mais on ne peut pas tout faire. Il n’y a que 24 heures dans une journée.
Avec Priape Wear, nous avons développé des contacts partout dans le monde. Nos produits sont vendus aux États-Unis, en Australie, à Singapour, à Taïwan, au Brésil, à Porto Rico, en Suisse, à Londres, à Paris, à Berlin, à Cape Town (Afrique du Sud), etc. C’est mon chum Alan qui s’occupe de cette ligne qui progresse. Nous allons faire produire des jock-straps Priape aux Philippines, c’est la première fois que nous avons une production extérieure au Québec, on verra donc comment cela fonctionnera. Je dois dire que je suis fier de voir cette ligne de vêtements vendus un partout et de voir des vêtements dans les vitrines de certains magasins. Priape a aussi été précurseur, plusieurs boutiques, on le voit à Londres ou à Paris, ont adopté cette formule de one stop pour la clientèle gaie qui peut ainsi s’acheter à la fois des jeans, du linge, des revues, des films, des accessoires érotiques, etc.
Mais il faut aller de l’avant. Nous travaillons fort pour revamper le site Internet de Priape et le chat aussi, tout sera remis au goût du jour. Mais il y a plus. Nous sommes en train de développer un autre site, Priape.tv, qui offrira ni plus ni moins que des vidéos sur demande, on pourra louer des vidéos en ligne et les visionner, soit un film au complet ou une série de séquences (5-10 min.), des scènes de plusieurs films. C’est ça l’avenir. Nous sommes rendus là parce que, pour les jeunes, l’utilisation de l’ordinateur et d’Internet est plus facile. Les jeunes n’achètent pas de DVD, ils préfèrent utiliser l’ordinateur, donc il faut suivre le courant, et c’est vraiment ça l’avenir, si l’on veut rester dans cette industrie. Ce site sera lancé en décembre. Côté boutique, bien sûr, il y a Calgary, la première année a été un peu difficile, mais on devrait dégager des profits cette année.
Pourquoi avoir choisi Calgary au lieu de Vancouver ?
Calgary, c’est l’ouverture vers l’Ouest canadien. Ils étaient très heureux que l’on y ouvre une boutique. La communauté gaie de Calgary l’attendait d’ailleurs. Avec Calgary, j’ai l’impression que c’est Montréal il y a une vingtaine d’années, autant du point de vue de la moralité – l’Alberta est encore une province tellement conservatrice – que sous l’angle du développement de la communauté gaie. Il y a tant à faire là-bas, mais les gens sont sympathiques, chaleureux, accueillants. Mais Vancouver, ça s’en vient. C’est l’objectif pour la saison 2005-2006. Je tiens à Vancouver parce que nous serions dans les trois plus grandes villes canadiennes. Mais, pour y aller, c’est un peu plus compliqué parce qu’il faut être situé dans la bonne zone, avoir tous les permis nécessaires, dénicher un local ayant une superficie acceptable et pour le bon prix, parce que les loyers sont très chers maintenant au centre-ville de Vancouver. Encore une fois, par les ventes sur Internet, nous savons que la clientèle y est, que la demande est là. À chaque fois que je vais à Vancouver, on me demande quand est-ce qu’on ouvre. Ce n’est donc pas une question de marché, mais plutôt celle de tous ces facteurs et des règlements municipaux qui ressemblent à ceux de Montréal. Donc, je ne crois pas que je vais prendre ma retraite de sitôt. Mais moi, je m’arrêterai à Vancouver. Après cela, si quelqu’un veut ouvrir ailleurs, ce sera à lui d’y voir.
Y a-t-il encore d’autres changements ?
Il y aura des travaux de rénovation au magasin ici. Il faut être prêt pour les Outgames de 2006, et c’est maintenant qu’il faut faire ces travaux, après il sera trop tard. On commencera dès cet automne et ce sera terminé probablement au printemps prochain ou au début de l’été. Après cela, j’espère que ce sera tout… pour un bout de temps du moins.
Novembre 1974
Robert Duchaîne et Claude Leblanc ouvrent le premier Priape au 1111, boul. de Maisonneuve (qui passe au feu le 13 septembre 75).
8 décembre 1975
Réouverture de Priape au 1661, rue Sainte-Catherine Est (où se trouve actuellement le bar Météor). Le magasin où l’on retouve un atelier de fabrication de cuir offre aussi des poppers et des Levi’s 501.
1976
Priape commence à vendre des magazines et des films pornos 8 mm ce qui lui permet de prendre de l’expansion (les commandes postales affluent).
1978
Publication du premier catalogue de Priape.
1979
Bernard Rousseau devient associé. On décide de se départir de la lingerie féminine pour devenir véritablement le 1er sex shop gai. Priape agrandi vers l’arrière du magasin.
1984 – 1989
Nelson Carry gérant de Priape Montréal, donne au magasin une image et met sur pied une mise en marché spécifiquement masculine. Il meurt du sida, le 26 mai 1989.
1984
Robert, Claude, Bernard et un 4e associé, prénommé Ernest, ouvrent le Cinéma du Village. Après deux mois d’opération, le Cinéma qui proposait des films gais n’arrive pas à faire ses frais et on se tourne vers l’érotisme. Robert et Ernest vont à New York pour négocier des films porno gais avec des distributeur et en reviennent avec un premier film : The Diary. La Régie du cinéma accepte finalement ce film qui tiendra l’affiche neuf semaines! Puis c’est The Bigger The Better qui durera huit semaines !
1986
L’édifice du 1335, rue Sainte-Catherine est à vendre. Robert, Claude et Bernard songent d’abord à y déménager le magasin, mais ils décident plutôt d’y faire le premier Centre commercial gai au Canada, qui va s’appeler Le Bloc. C’est Claude qui s’occupe de ce nouveau projet juste avant que le sida frappe à la porte et emporte André, tandis qu’un cancer du poumon prend la vie de Gaétan.
22 juin 1987
Priape ouvre ses portes dans le lieu qu’il occupe présentement (1311, rue Sainte-Catherine Est). La boutique occupe le rez-de-chaussée alors que des bureaux sont aménagés à la mezzanine. Mais, dès l’été, les ventes augmentant, on doit agrandir et réaménager la mezzanine.
Novembre 1989
Priape fête ses 15 ans, mais la récession frappe dure en ce début des années 1990. Gilles Chauvin est engagé comme gérant.
26 mars 1993
Voyant qu’une clientèle de plus en plus nombreuse se pointe en provenance de Toronto (les commandes postales sont aussi importantes), Priape ouvre une succursale à Toronto dans un petit local de 600 pi. carrés, sur la rue Church. C’est Alan, le chum à Bernard, qui en devient le gérant.
Mai 1994
Priape Toronto déménage dans un local au-dessus du bar Sailor afin de bénéficier de plus d’espace.
Septembre 1993
Affligé par des problèmes de santé, Robert Duchaine prend sa retraite. Cela coïncide presque avec la fermeture du cinéma qui ne fonctionnait plus depuis que les films porno sont facilement disponibles sur vidéo. On garde cependant la division de la vente en gros qui est relocalisée au 2e étage du Bloc.
1er janvier 1996
Grâce à la collaboration du site de Gaibec, le site Internet de Priape voit officiellement le jour et les demandes proviennent de partout dans le monde. Maintenant, avec son chat et ses sections de rencontres et de ventes, le site reçoit plus de 70 000 visiteurs par mois.
Avril 1996
Un incendie détruit une grande partie de l’édifice du Bloc qui abritait un resto mexicain. Cela met fin définitivement à cette aventure. Rappelons que le Centre communautaire des gais et lesbiennes (CCGLM) a d’ailleurs logé là quelques années, mais était déménagé lors de l’icendie.
Automne 1997
Priape devient l’actionnaire majoritaire de la marque de vêtements This Ain’t Kansas (camisoles, t-shirts humoristiques gais, etc.). This Ain’t Kansas sera distribué dans plus d’une centaine de points de vente, mais les ventes plafonneront après quelques saisons. Priape prend alors la décision de mettre ses efforts sur sa marque Priape Wear.
28 février 2001
Après quelques mois de négociations, Priape devenait propriétaire de la Librairie L’Androgyne, qui déménageait en juillet de la même année en plein cœur du Village. La seule librairie gaie et lesbienne au Québec profitait ainsi de moyens financiers et administratifs lui permettant de croître plus qu’elle n’aurait pu l’espérer. Malheureusement l’expérience ne s’avérera pas rentable et la librairie ferme ses portes le 1er septembre 2002.
Fin 2002
Le cinéma gai fait sa rentrée sur les étagères de Priape. Si au début la section est relativement modeste, les acquisitions presque mensuelles font que dorénavant le catalogue compte plus d’une centaine de titres.
Juillet 2003
Priape ouvre une troisième succursale à Calgary.