À la toute fin de la rencontre, je demande à Philippe Schnobb : « Quel serait le pire titre qui pourrait coiffer cette entrevue que tu m’accordes pour Fugues? » Il me répond spontanément : « Tu me prends par surprise! Si tu voulais être méchant, le pire que tu pourrais écrire, c’est ‘‘Maintenant qu’il devient politicien, il fait son coming out!’’. Mais je ne peux être méchant avec Philippe, car c’est un ami depuis plusieurs années. Un ami qui accepte de faire sa sortie de placard dans les pages de Fugues. Rencontre exclusive.
Tu profites de ton saut en politique municipale, dans l’équipe de Denis Coderre, pour faire ton coming out?
Je trouve ça drôle comme question. Je l’avais déjà fait, mon coming out : tout mon entourage – ma famille, mes collègues, mes amis – sait que je suis gai, que j’ai un chum.
Oui, mais pour une personnalité publique, je t’apprends rien si je te dis qu’il peut y avoir un deuxième coming out…
Comme journaliste, j’avais pas plus à le dire publiquement que de dire pour qui je vote aux élections. Quand on est journaliste, faut être drab, faut pas qu’on nous associe à quoi que ce soit. C’est comme ça que je voyais ça à l’époque, et je le vois encore comme ça. D’autre part, on ne me l’a jamais demandé. J’en ai fait des entrevues, et y’a jamais personne qui m’a posé cette question.
Euh… moi, je te l’avais déjà demandé!
Toi, tu me l’as demandé, c’est vrai. Là, je le fais parce que le contexte est différent : je ne suis plus journaliste. Je peux ouvrir les portes davantage.
Et le cas d’Anderson Cooper? Est-ce que ça fait de lui un journaliste moins crédible et moins bon depuis qu’il a fait son coming out en juillet 2012?
Pas du tout. Il a fait son choix. Peut-être que j’aurais pu évoluer vers ça à un moment donné. Comme je te dis, la question ne m’a jamais été posée… à part par toi! Mais je vois que ça évolue. Y’a Sophie [Thibault] et Dominique [Poirier] qui l’ont fait leur coming out [N.D.L.R. Ces deux grandes dames de l’information ont marché ensemble sur le tapis rouge du dernier gala Artis]. Leur intention, ce soir-là, c’était ça. Sans donner d’entrevue là-dessus. Pour elles, c’était important de se présenter ensemble au gala, c’était un statement. Dans leur esprit, c’était un coming out et elles ont juste été étonnées que ça passe dans le beurre.
Avais-tu déjà songé à faire une sortie de placard publique avant aujourd’hui?
Il y a deux ans, j’étais entré en contact avec Dany Turcotte qui préparait un coming out collectif, avec d’autres personnalités. Au lieu de mettre la lumière sur un coming out en particulier, ça devenait un geste collectif. J’aurais été prêt à le faire dans ce contexte, mais à un moment donné, l’idée a été abandonnée.
Aujourd’hui, je ne fais pas mon coming out parce que je suis en campagne électorale. Je le fais parce que la situation a évolué. De toute façon, y’a pas beaucoup de personnes qui ne savent pas que je suis gai dans le Village! T’as pas un gros scoop là!
Quelle a été la réaction de ton chum quand tu lui as annoncé ton saut en politique?
Il m’a étonné en me disant que s’il y a un domaine dans le monde qui ne l’intéresse pas, c’est bien la politique. Et si j’avais été politicien lorsqu’on s’est rencontrés il y a 16 ans, il ne se serait même pas arrêté pour me parler. Une chance que je l’ai rencontré quand j’étais journaliste! Après qu’on en ait discuté, il m’a dit qu’il m’appuierait.
Tu quittes une longue carrière de 27 ans à Radio-Canada. T’as pourtant pas étudié en communication…
J’ai commencé à travailler dans les médias à 20 ans… par accident! J’avais étudié en théâtre, à Hull. Et le théâtre, c’est comme aujourd’hui: les dix meilleurs de la fournée ont du travail et les 75 autres font des annonces de beurre de pinotte. Moi, je faisais même pas d’annonces!
Tu as abandonné l’idée de devenir comédien à ce moment?
J’ai joué dans deux pièces de théâtre. Et je sais pas si je te l’ai déjà dit, mais j’ai aussi joué dans le film Le Matou! C’est une scène où le comédien Serge Dupire croise quelqu’un dans un restaurant. Ce quelqu’un, c’est moi! (Rires.) Je rigole. Faut vraiment être attentif pour me voir, car on n’aperçoit que mon épaule et mon oreille! J’ai une autre très courte scène dans le même film : je lave la vaisselle et la caméra passe derrière moi! Quand j’ai vu ce que c’était ça la vie d’un figurant, je me suis dit que je devrais faire autre chose dans la vie.
Et tu as fait quoi?
On me disait de me servir de ma voix. Alors, j’ai enregistré une cassette de lecture de textes que j’ai envoyée à la radio de Radio-Canada (à Hull), qui l’a reçue le jour où leur animateur de fin de semaine avait démissionné. Le directeur de la station m’a fait passer une audition et je suis reparti avec les clés de la station dans les poches! Au début, je lisais l’heure : « Il est midi! ». (Rires.) Ensuite, je faisais l’agenda culturel et la météo. Après deux ou trois semaines, j’ai rencontré un gars – qui est devenu plus tard mon chum – et je l’ai suivi à Rimouski. C’est là que j’ai commencé à faire du journalisme. Ensuite, j’ai eu un poste à Régina et un autre à Edmonton. C’est là que j’ai commencé à avoir la piqûre pour la livraison de l’information. J’ai été lecteur de nouvelles pour Ce Soir Alberta. J’avais 24 ans. Ensuite, je suis revenu à Montréal et j’ai commencé à remplacer les autres lecteurs de nouvelles. On peut dire que j’ai eu une grande carrière de remplaçant à Radio-Canada. C’est un privilège, quand même. C’est comme ça que les gens m’ont connu.

En étant journaliste, la chose municipale t’intéressait déjà?
Oui, j’ai couvert trois campagnes électorales municipales en sept ans, dont celle qui a mené aux fusions municipales. Je pense que j’ai contribué à rendre ça intéressant. Avant, c’était une punition que de couvrir les affaires municipales. J’ai décidé d’en faire quelque chose d’intéressant et c’est ce que je ressens aujourd’hui encore : le muni-cipal, c’est l’endroit où on est le plus proche des préoccupations des citoyens.
Quel a été le déclic pour te lancer en politique?
Il y a deux ans, j’ai laissé savoir à certaines personnes que la chose municipale pourrait m’intéresser. À ce moment, c’était clair que le maire Gérald Tremblay ne se représenterait pas, qu’il allait prendre sa retraite, indépendamment de ce qui s’est passé par la suite. Pour moi, c’était clair qu’en 2013, il y aurait un renouvellement du personnel politique. J’ai laissé circuler cette idée-là en me disant que je verrais ce que l’écho me renverrait. L’écho m’a renvoyé quelques manifestations d’intérêt.
Denis Coderre?
J’étais au Brésil, l’an passé. J’ai écrit ceci à Denis Coderre via son compte Twitter : « Je suis à Rio sur la plage et je réfléchis de ce que je vais faire du reste de ma vie. Et je sais que vous réfléchissez aussi à la même chose [Sa candidature n’était pas encore annoncée]. À mon retour, si l’occasion se présente, j’aimerais qu’on prenne un café ensemble pour voir si nos réflexions peuvent être convergentes. » Je pourrais te le montrer ce message, je l’ai encore! Ça a pris quelques jours et Denis m’a répondu : « Oui, c’est une bonne idée! »
Tu le connaissais bien?
Je le connaissais comme tout le monde. Et lors de notre première vraie rencontre, on a jasé de sa vision, même si ses adversaires se plaisent à dire qu’il en n’a pas. Je me disais : « C’est pas inintéressant! » Ça a commencé à mûrir en moi et je me suis dit qu’un journaliste a le droit de réfléchir à son avenir. Quand ma décision a été prise, j’en ai parlé à ma patronne à Radio-Canada et on a convenu que je parte. Après 27 ans à Radio-Canada, un mercredi soir je pense, j’ai ramassé mes affaires, sans pouvoir en parler à personne. Y’a juste Patrice Roy qui le savait, il était en ondes. J’ai attendu une pause, je lui ai envoyé la main et je suis parti.
C’est étrange, tu habites dans Jeanne-Mance, mais tu te présentes dans Saint-Jacques. Pourquoi?
Dès le moment où j’ai pensé faire de la politique, j’avais en tête de me présenter dans Ville-Marie, district de Saint-Jacques, parce que c’est là où j’ai travaillé pendant une vingtaine d’années. Comme je l’ai déjà dit, je dors sur le Plateau, mais je vis dans Saint-Jacques! C’est là que je m’entraîne, que je vais au théâtre, à l’Opéra, à l’OSM, à la piscine, et c’est aussi là que je sors le vendredi, dans le Village.
Quels sont les enjeux de ce district?
Il y a la question de la sécurité. Beaucoup de criminalité, entraînée notamment par la présence de dealers de drogue, qui entraîne une hausse de la toxicomanie, de vols par effraction, etc.
Il y a aussi la question de la cohabitation. Montréal a la chance d’être une destination touristique. Dans Saint-Jacques, il y a le Quartier des spectacles, le Vieux-Montréal et le Village. En plus, c’est une zone de transit pour passer de la maison au boulot, pour prendre les ponts. Bref, ça circule beaucoup. Faut que les gens qui traversent ce quartier réalisent que les maisons, les façades, ce ne sont pas des décors de cinéma, y’a du vrai monde dedans. Faut gérer cette cohabitation.
Une des techniques pour se faire élire, c’est d’aller voir les gens. Vas-tu vraiment faire du porte-à-porte?
Oui, et j’ai hâte d’en faire! Depuis que j’ai annoncé ma candidature, tu pourrais pas croire à quel point je me fais arrêter sur la rue. Au Sky, les gens viennent me parler. Sur les terrasses rue Sainte-Catherine aussi. Les gens sont très polis.
Sur ta page Facebook, par contre, j’ai lu des commentaires pas toujours très polis…
Certains ne sont pas contents que je me présente dans l’équipe de Denis Coderre, ils ne voient pas le match. Moi, je le vois.
Pour terminer, si je te demande de me donner un bon titre pour coiffer cet article, tu me proposerais quoi?
Un bon titre pourrait être « Une autre manière de servir le public ». Quand on travaille pour Radio-Canada, en journalisme, on a à cœur le service public, parce qu’on peut intervenir dans la société, faire changer des choses. Ça n’arrive pas souvent dans une carrière de journaliste que tu peux faire changer des choses. Mes collègues de l’émission Enquête l’ont fait beaucoup avec leurs topos sur la corruption. Moi, y’a vraiment un dossier que j’ai couvert et dont je suis très fier : si aujourd’hui tu vas voter et qu’on te demande tes papiers d’identité, c’est en partie grâce à mes reportages. J’ai démontré qu’il y avait eu une fraude électorale dans Anjou, en 1998, et qu’on avait payé des électeurs pour voter. Ça a mené à une loi sur l’identification obligatoire pour l’électeur. C’était déjà dans l’air, mais ça a accéléré le processus.
Merci Philippe et bonne campagne électorale!