Richard Rossi, le narrateur de L’autre homme de ma vie (en anglais: Insignificant Others, 2010), dit dans une conversation avec des amis : «Si on oublie tous ces débats sur le mariage homosexuel, je crois que les meilleures relations entre hommes sont celles qui sont faites sur mesure.» Et de poursuivre : «Elles tiennent compte des besoins et des comportements des hommes, qui sont différents de ceux des femmes.»
Ce sixième roman de Stephen McCauley est l’illustration parfaite de la conception de l’amour et du mariage selon Richard Rossi, qui nous raconte sa vie bostonnaise passée et présente. Il disserte beaucoup sur la vie sociale et amoureuse dans laquelle il est plongé, d’autant qu’il atteint la cinquantaine, et que sa relation avec Conrad, plus jeune que lui, semblait exactement collée à sa conception de l’existence: un endroit pépère, sans conflits et sans dérapages.
Et si un dérapage il y a, ce n’est pas un accident, mais une petite envie d’école buissonnière, entendez une aventure sexuelle. Même plus: lui, qui décrie tant le monde hétéro bloqué dans sa morale et ses tabous, l’imite totalement.
Amant de Conrad depuis huit ans, il entretient une relation avec Jerry, homme marié qui a deux enfants, rencontré dans son gym. Conrad en a une de son côté, qu’il veut faire durer, avec un riche héritier de Columbus où il va pour affaires. Ce qui ne va pas sans troubler Richard et remettre en question son mode de vie. À le suivre dans ses pérégrinations quotidiennes, divisées en quatre grandes topiques : travail, entraînement physique, repas, coucherie, Richard, pourtant lucide, n’est peut-être, tout compte fait, qu’un misanthrope, voire un veule. En tous cas, c’est un vrai paumé, qui n’a qu’injonctions et remarques lapidaires à la bouche pour défendre son pré carré.
Ses réflexions, qui l’apparentent à un homme de gauche, dessinent un bourgeois bohème qui se veut tendre, mais se montre cruel; qui se dit lucide, mais se dévoile candide; il a des idées progressistes, mais c’est la bienséance qui lui convient. On aura deviné qu’il veut protéger son confort tant matériel que sexuel. On pourrait donner à son récit le sous-titre: «Petits arrangements domestiques». De Richard et des autres protagonistes — avec l’inévitable amie et confidente des gais —, on pourrait affirmer qu’ils cadrent complètement dans le portrait de la génération X arrivée à la maturité et au pouvoir.
On ne vous dévoilera pas comment le destin rattrapera Richard et lui donnera un autre équilibre après l’avoir déstabilisé. Ce psychologue devenu responsable des relations humaines pour une compagnie de logiciels, Connectrix (on voit dans ce nom l’humour de McCauley), est en fait peu doué pour comprendre les autres. C’est une sorte d’automate qui a pour guide sa liste des «Au moins», genre: «J’ai les cheveux grisonnants, mais, au moins, il me reste des cheveux.» Cela donne des malentendus comme dans une comédie de mœurs à la Woody Allen. Et pas mal de désabusement, de lassitude et d’hypocrisie chez un être qui pense que la vie et le travail devraient ressembler à des vacances éternelles, à des insignifiances justement, comme le suggère le titre anglais du roman.
Après L’objet de mon affection (1987), qui l’avait lancé, après Et qui va promener le chien? (1997), Sexe et dépendances (2006), entre autres, Stephen McCauley, qui a déjà vécu à Montréal et dont on peut lire une entrevue avec Denis-Daniel Boulé dans le numéro de décembre de Fugues, donne une satire sur la fidélité (ou sur la monogamie en amour) avec à la fois beaucoup de sérieux et de finesse.
Il est proche en cela de Noel Coward et d’Oscar Wilde, avec ses observations aussi chics qu’elles sont sèches. Si on veut, par ailleurs, tout savoir sur les années Bush où le mensonge le discutait à la rigueur morale, mais où la prospérité rimait avec une liberté certaine pour les gais, son Autre homme de ma vie nous vaut son pesant d’or de bouffonnerie sociale et de questions éthiques.
L’AUTRE HOMME DE MA VIE / Stephen McCauley, traduit du français (États-Unis) par Françoise Jaouën. Montréal: Flammarion Québec, 2010. 317p.