Trois livres signés par des femmes et donnant une vision ouverte et universelle de l’amour lesbien, chacun avec son style, son écriture particulière qui saura intéresser les lectrices comme les lecteurs gais.
Tove Jansson est une artiste peintre, dessinatrice de bédé et écrivaine finlandaise, mais de langue suédoise. Elle est surtout connue pour son œuvre Les Moumines, des livres illustrés pour enfants qui ont connu un très grand succès. Elle a également écrit six romans, dont Le livre d’un été (1972) qu’on peut trouver dans la collection Babelio. Fair-play est sa dernière œuvre et vient d’être publiée par la maison d’édition de Chicoutimi, La Peuplade. Dans Fair-play, Jonna et Mari sont deux artistes qui partagent leur vie au dernier étage d’un immeuble situé non loin du port de Helsinki. Entre café et cigarettes en commun, les deux femmes peignent, bricolent, écrivent, discutent de l’art et de la vie, se passionnent pour le cinéma, et tout particulièrement pour les films de Fassbinder, se réprimandent, philosophent, rient de bon cœur, voyagent, reçoivent, se remémorent le passé et voient l’avenir, une journée à la fois. Chaque jour, l’une est une surprise pour l’autre. La solitude est un don qui favorise la création. Et la vie paraît souvent moins importante que l’art qu’on apprécie et savoure non sans une certaine mélancolie. Jansson conjugue ici les trois passions de sa vie: le travail, l’amour et la liberté.
Au crépuscule de sa vie, l’auteure offre ici une leçon à la fois de jeunesse et de maturité, une profession de foi en l’autre et une confiance généreuse dans le monde qui nous entoure, dans une vie qui est peut-être faite de petits riens, mais qui donnent au quotidien une saveur candide et une joie paisible.
Ça raconte Sarah est le premier roman d’une professeure-documentaliste dans un lycée parisien, Pauline Delabroy-Allard, qui a reçu pour ce livre, qui a été dans la liste des Goncourt, le prix du roman des étudiants France Culture – Télérama. Est-il autobiographique? Sa richesse et son sens d’observation aiguisé le suggèrent. Quoi qu’il en soit, c’est l’histoire d’un coup de foudre fatal. L’histoire d’une passion dévorante d’une narratrice, institutrice, qui élève une fillette qu’elle a eue d’un ancien amour. Un jour, elle rencontre Sarah, une violoniste connue d’un quatuor qui tourne beaucoup en France et à l’étranger. La beauté de Sarah la foudroie, elle ne sera plus la même, jusqu’à tout quitter. Elle sera démunie face à cet amour qui l’emporte et la traumatise. Comme dans toute passion, la vie se transforme en souffrance, en angoisse; c’est une fièvre qui vous tient sur le qui-vive. Votre vie bascule, devient insaisissable et même étrange, d’autant que cet amour est tu comme un tabou. On sent qu’il mènera à un désastre. Plus rien ne sera plus pareil. Et son deuil sera impossible. L’amour a entraîné la narratrice dans un tourbillon aveugle, dans un tsunami incontrôlable, que son style emporté rend excellemment bien. Son écriture prend la forme d’une litanie avec ses répétitions, sa musicalité, avec la sonorité travaillée de chaque phrase et la densité de ses chapitres courts. Le livre rayonne alors d’une sombre couleur, celle du trou noir de la mélancolie. Ça raconte Sarah est un livre intense, exalté, poétique, sur les amours qui finissent mal.
Le Nigeria est un pays dont on parle beaucoup depuis la tragédie du Biafra en 1968, de ses élections contestées (la dernière a eu lieu en février dernier), de sa production filmique (Nollywood) qui concurrence celle de l’Inde. De là-bas, en Afrique, nous vient la voix nouvelle de Chinelo Okparanta, née à Port Harcourt, et dont ce premier roman a été traduit en plusieurs langues. Dans une langue claire, Sous les branches de l’udala raconte les années adolescente et adulte de Ijeoma qui tombe amoureuse d’Amina. Cet amour qu’elle veut vivre pleinement est, dans un pays à la fois musulman et chrétien comme le Nigeria, condamnable, vouée à la lapidation ou à la noyade forcée. Mais rien n’y fait, même le mariage arrangé par sa mère, Ijeoma tombera une nouvelle fois amoureuse d’une femme, Ndidi. Elle quittera alors son mari avec sa fille, Chidinma. C’est sous les dangers permanents et la crainte que crée un amour interdit que se vit la passion chaotique de Ijeoma pour les femmes. Ce qui la sauve: ses raisonnements, sa compréhension du monde et, surtout, ses rêves. Elle sait qu’elle ne sera jamais libre, que l’autoritarisme de la société nigériane brisera toujours ses désirs. Sous les branches de l’udala prend la forme d’un conte dont la fabulation est empreinte d’un engagement politique fort, concret, face à la barbarie.
Fair-play / Tove Jansson, traduit du suédois par Agneta Ségol, Chicoutimi, La Peuplade, coll. : Fictions du Nord, 2019, 141 p.
Ça raconte Sarah / Pauline Delabroy-Allard, Paris. Les Éditions de Minuit, 2018, 189 p.
Sous les branches de l’udala / Chinelo Okparanta, traduit de l’anglais (Nigeria) par Carine Chichereau, Paris, Belfond, 2018, 371p.