Grâce notamment aux succès de ses sportives, de ses athlètes d’origine africaine et de ceux revendiquant leur homosexualité, le Brésil est assuré de remporter au minimum 20 médailles aux Jeux olympiques de Tokyo, un record dans son histoire, au grand dam de son très conservateur président Jair Bolsonaro.
Il y a cinq ans à Rio, le Brésil avait décroché 19 médailles. Avant le week-end final, le pays est d’ores et déjà assuré d’en ramener du Japon au moins une de plus. Cette moisson est à mettre au crédit de sportifs aussi divers que l’est la population de cet immense pays, dans lequel vivent 212 millions de personnes, à l’image de la gymnaste noire Rebeca Andrade (médaillée d’or au saut après avoir remporté l’argent au concours général), de la nageuse lesbienne Ana Marcela Cunha ou des voileuses Martine Grael et Kajena Kunze (déjà titrées à Rio et à nouveau championnes olympiques à Tokyo en 49er FX).
«Cette médaille est dédiée à tous ceux qui ont lutté pour la défense des droits des femmes et des personnes LGBT», a lancé Cunha, qui partage la vie d’une internationale brésilienne de water-polo.
Visibilité
Les exploits de l’équipe olympique du Brésil, dont la population est à 55% noire ou métisse, est un pied de nez aux prises de positions très conservatrices de Bolsonaro, régulièrement accusé de tenir des propos racistes, misogynes et homophobes. La commission inter-américaine pour les Droits de l’Homme a d’ailleurs alerté en avril sur l’augmentation des crimes et des discours liés à la haine de l’autre depuis l’arrivée au pouvoir du président brésilien en 2019.
«Ces victoires de femmes, de Noirs et de personnes LGBTQIA+ contribuent à donner de la visibilité à d’autres modes de vie, qui étaient opprimés, exclus et maintenus largement invisibles jusqu’à récemment dans notre histoire», a déclaré l’anthropologue Claudia Kessler de l’Université fédérale de Rio Grande do Sul.
Au Brésil, «l’esclavage des noirs (qui n’a été aboli qu’en 1888, ndlr), l’internement forcé des homosexuels dans des hôpitaux psychiatriques et l’absence de droits civiques pour les femmes ont duré des siècles», a-t-elle rappelé.
De fait, les sportives ont brillé à Tokyo. Et pourtant, les femmes qui réussissent au Brésil ne sont pas bien vues et on ne leur facilite pas la tâche. Elles gagnent ainsi 76,5% du salaire des hommes à travail égal, selon un rapport datant de 2018 émanant de l’institut national des statistiques, qui relève que «les femmes étudient davantage, travaillent davantage mais sont moins bien payées que les hommes».
Le pays a une longue tradition machiste et la violence faite aux femmes est ancrée dans la culture locale: le Brésil a enregistré 1.350 féminicides l’an dernier, 23.000 cas de violences domestiques et environ 14 000 viols, selon le Forum brésilien sur la sécurité publique.
«Nécessaire débat national»
Et une loi interdisant aux femmes brésiliennes de pratiquer des sports jugés «incompatibles avec leur nature», notamment le football, la boxe, le rugby et l’haltérophilie, n’a été abrogée qu’il y a 40 ans. «Le pouvoir du sport, la visibilité des Jeux olympiques et les victoires (à Tokyo) vont aider à relancer un nécessaire débat national sur les minorités, les femmes, les gais, les Noirs au Brésil», a déclaré la sociologue Marcia Couto de l’université de Sao Paulo.
Cet afflux de médailles n’a pas eu l’heur de plaire à Jair Bolsonaro qui n’a toujours pas félicité ses compatriotes victorieux à Tokyo qui, de leur côté, se sont bien gardés de parler de politique pour préférer revendiquer leurs origines, leur orientation sexuelle ou leur genre. «Je cherche la reconnaissance: je souhaite qu’une personne noire, originaire de Bahia (l’état brésilien où se concentre la majorité de la population d’origine africaine), devienne la plus grande star du Brésil», a ainsi affirmé dans Globo le spécialiste du canoë sprint, Isaquias Queiros Dos Santos, sacré sur 1 000 m C1 samedi.
Rédaction avec AFP