Dimanche, 28 avril 2024
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    Une vague homophobe vise les livres dans plusieurs pays d’Afrique

    Au Kenya, le gouvernement a fait renvoyer hors des frontières l’ouvrage d’un éditeur britannique parce qu’il évoquait l’homosexualité, en février dernier. Un événement qui vient rappeler que de nombreux pays d’Afrique, dotés de lois homophobes, restreignent au passage la liberté d’expression et de publication.

    En début d’année 2023, la librairie Text Book Centre de Nairobi, au Kenya, a renvoyé au Royaume-Uni les exemplaires d’un ouvrage en stock intitulé What’s happening to me ? (Usborne Publishing, 2006). À l’origine de ce retour, une demande solennelle adressée au président de la République, William Ruto, par une coalition de responsables religieux chrétiens, musulmans et hindous — le pays abrite une minorité indo-pakistanaise.

    Ces doctrines ont mis de côté leurs différences pour s’unir contre « une menace mortelle », selon leur expression : les droits des personnes LGBT. « Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur un fait incontestable : cette manifestation du libéralisme occidental est un cheval de Troie qui vise la destruction de la cellule familiale », poursuivent ces clercs pas très clairs, cités par The Washington Blade.

    Le gouvernement et les autorités du Kenya ont donné suite à leur diatribe. Et le KICD, le Kenya Institute of Curriculum Development, organisation qui conseille le ministère de l’Éducation vis-à-vis des programmes scolaires, a serré la laisse passée aux cous des libraires, assurant qu’ils devaient « se conformer aux règles en vigueur».

    De la censure informelle aux lois
    Si l’Institution en charge des programmes scolaires kenyans évoque des règles en vigueur, celles-ci sont pour l’instant informelles, bien que très puissantes. L’homosexualité reste un crime dans le pays, et le président William Ruto rappelle, dès qu’il le peut, qu’il ne se soucie guère des droits des personnes LGBTQIA+. En septembre 2022, peu après la confirmation de sa victoire à l’élection présidentielle, il affirmait ainsi que ce sujet « n’était pas important » pour le pays.

    Lorsqu’elles sont évoquées, les personnes homosexuelles au Kenya sont surtout menacées. Mohamed Ali, député au sein de l’Assemblée nationale du pays, milite ainsi pour un renforcement des lois homophobes : il déclare ouvertement qu’il cherche à « bouter les personnes LGBT hors du Kenya ». Malgré ses charges homophobes, le pays a pu accueillir par le passé des réfugiés venus d’Ouganda, persécutés pour leur orientation sexuelle : Ali veut tout simplement révoquer leur visa.

    Le député ne s’arrête bien sûr pas là : il souhaite criminaliser le débat public sur l’orientation sexuelle, et censurer « les publications ou la diffusion d’informations relatives à l’homosexualité », comme le rapportait Capital News en mars dernier.

    Mohamed Ali n’est pas allé chercher bien loin ses propositions extrémistes. L’Ouganda, pays voisin, s’est aussi embarqué dans une surenchère homophobe, concrétisée le 26 mai 2023 par la signature du président Yoweri Museveni d’un Traité Anti-Homosexualité. Cet infâme texte de loi fait de la « promotion de l’homosexualité » un délit, et la définit notamment comme « la publication, l’impression […] de contenu promouvant ou encourageant à l’homosexualité ». La peine de prison maximale peut atteindre 20 ans.

    Une vague homophobe
    Toute une partie du continent africain est submergée par cette vague homophobe. La Tanzanie, un autre territoire situé à l’est de l’Afrique, a ainsi censuré en février dernier le Journal d’un dégonflé de l’auteur américain Jeff Kinney. Le ministre de l’Éducation Adolf Mkenda s’en est violemment pris à cet ouvrage jeunesse, accusé de « contredire les normes culturelles et morales de la Tanzanie », rapporte The East African.

    Le responsable politique a même incité les parents à fouiller scrupuleusement les sacs de leurs enfants, et à signaler tous les livres qui enfreindraient ces « préceptes » culturels. 

    En juillet 2023, le Parlement de la République du Ghana a adopté à l’unanimité une législation homophobe, qui criminalise elle aussi « la promotion, la défense, le soutien financier et la pratique » de l’homosexualité. Quelques semaines plus tard, la Cour suprême ghanéenne rejetait une tentative de censure de cette loi, jugée inconstitutionnelle, rapporte l’agence Reuters.

    L’origine de ce recul exceptionnel des droits des personnes homosexuelles en Afrique pourrait se trouver du côté des… États-Unis, comme le suggère un article de la BBC. L’un des artisans de la loi homophobe kenyane, George Peter Kaluma, a ainsi assisté, en mars 2023, à un sommet organisé en Ouganda, consacré aux « valeurs familiales et à la souveraineté africaine ».

    Les représentants d’une vingtaine d’États africains se sont retrouvés lors de ce rassemblement, coorganisé par l’organisation chrétienne américaine fondamentaliste Family Watch International (FWI). Créée en 1999, cette dernière milite vigoureusement contre le droit à l’avortement, l’accès à la contraception ou encore les relations homosexuelles.

    Sharon Slater, la fondatrice de cette structure, s’investit considérablement dans un lobbying auprès de chefs d’États et de hauts responsables africains. Le média indépendant openDemocracy, dans une enquête publiée en 2020, avait pointé l’influence de FWI sur les politiques de certains pays du continent en matière d’accès à la contraception et de droits des personnes LGBTQIA+.

    Une nouvelle enquête d’openDemocracy, publiée en mai dernier, révèle que Slater a rencontré le président ougandais, Yoweri Museveni, en avril 2023, et échangé avec plusieurs législateurs dans un groupe WhatsApp dédié. Family Watch International a mollement contesté les faits, sans apporter d’éléments contradictoires.

    Le lobbying de Family Watch International et des chrétiens fondamentalistes est d’autant plus efficace qu’il rejoint les préoccupations morales et l’homophobie d’autres religions pratiquées sur le continent, notamment l’islam et l’hindouisme, comme le cas évoqué en début d’article le démontre. Au Nigéria, l’association des étudiants musulmans a ainsi dénoncé plusieurs manuels scolaires en mai 2023, arguant qu’ils exposaient des élèves du primaire et du secondaire à des « contenus sexuellement explicites ». Et pour cause : les ouvrages visés relaient des éléments relatifs à l’éducation sexuelle…

    L’homophobie d’État bien installée
    Selon l’Association internationale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexuées (IGLA), une vingtaine de pays africains appliquent des lois ou des règlements qui restreignent la liberté d’expression sur les sujets relatifs à la diversité sexuelle et de genre, d’après un rapport publié en 2020

    La partie nord du continent, du Sahara occidental à l’Égypte, en passant par le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye, est entièrement concernée, avec des législations qui visent la détention de contenus « contraires à la décence » (Algérie), contraires à « la morale publique » (Égypte), « indécents » (Libye), ou « obscènes » (Maroc). Des définitions si vastes qu’elles peuvent sans problème englober des titres qui évoquent simplement les relations amoureuses entre personnes du même sexe.

    Le territoire oriental de l’Afrique représente un vivier pour les mesures étatiques homophobes, entre le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie, mais aussi l’Éthiopie, où des mesures de restriction s’appliquent aussi aux sites web, ou le Soudan et la Somalie, qui considèrent la possession d’« objets obscènes » comme un délit ou un crime. 

    Dans un certain nombre de pays africains, notamment le Botswana, l’Angola, le Mozambique, le Gabon ou l’Afrique du Sud, les lois homophobes ont reculé ces dernières années et parfois disparues. Dans ce premier pays, au moment de la condamnation de ces législations, la justice du pays les a directement reliées au passé colonialiste, assurant qu’elles représentaient « un héritage britannique », rappelle l’organisation LGBT Stonewall. Parmi les pays membres du Commonwealth, « 50 % criminalisent encore l’homosexualité », indique-t-elle.

    À ces stigmates de la colonisation s’ajoutent de solides préjugés au sein de la population, qui suggèrent que l’Afrique précoloniale « ne connaissait pas l’homosexualité », souligne le professeur Bright Alozie, historien spécialisé en « Black Studies » à l’université de Portland. Dans ce cas de figure, l’homophobie se diffuse parallèlement au rejet de la puissance coloniale.

    Un phénomène qui s’observe ces derniers mois, notamment dans les pays cités en début d’article. Les lois homophobes sont considérées par les représentants politiques et une partie des citoyens comme un moyen de résister à l’« agenda LGBTQ », dénoncé comme une « propagande » de l’Occident.

    Précisons enfin que l’Afrique n’est pas le seul continent à connaitre une recrudescence des lois homophobes et une restriction des libertés d’expression et de publication sur les sujets liés à la liberté sexuelle et de genre. Une quinzaine de pays d’Asie disposent de législations liberticides, et des mouvements réactionnaires se déploient aux États-Unis — où les bibliothèques sont largement visées —, en Russie, en Hongrie, ou encore dans les Émirats arabes unis.

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